Fonds de tiroir


Bon, alors après l'incendie de Notre-Dame, on n'a pas besoin de la ressusciter vu qu'elle est pas morte, mais va quand même falloir reconstruire ce qui a été détruit. Tout ce qui a été détruit ? Et à l'identique ? Mais à l'identique de quand ? du Moyen-Age, avec une flèche en pierre et des façades de couleur ? d'après la Révolution, sans la flèche (c'est la cathédrale de Victor Hugo) ? de la fin du XIXe siècle, après la rénovation « façon gothique » de Viollet-le-Duc et sa nouvelle flèche (celle qui a brûlé) ? En laissant visibles les traces de l'incendie ou en les effaçant ? En utilisant des matériaux tradition-nels (le bois, le plomb, la pierre) ou modernes (de l'aluminium et du béton) ? En faisant du neuf ou du pastiche, ou du pastiche du pastiche de Viollet-le-Duc ? Et quelle qu'elle soit, elle prendra combien de temps, la rénovation ? un demi-siècle ? cinq ans, comme l'a proclamé Macron ? ou dix, vingt ou trente ans ? La discussion va être passionnante, pour qui s'intéresse à ce genre de questions et à la manière dont on restaure des éléments abimés du patrimoine. Comme quoi, même un incendie peut être un stimulant intellectuel... De toute façon, Macron a déjà choisi l'architecte qui sera chargé de reconstruire Notre-Dame de Paris «plus belle qu'avant»: le Facteur Cheval...

Genève a encore une bonne vieille patinoire : celle des Vernets. Qui lui coûte bonbon (une vingtaine de millions depuis dix ans, dont une partie ont servi à renflouer le club résident, le Servette Hockey-Club) qui date des années cinquante du siècle dernier et à laquelle les Genevois sont aussi attachés qu'ils l'étaient au bon vieux stade des Charmilles. Pour y changer la machine qui produit le froid (ben ouais, c'est une patinoire, y'a de la vraie glace toute l'année...), le Conseil administratif de la Ville va demander une dizaine de millions au Conseil municipal. Qui va évidemment les voter. Mais d'aucuns en veulent une nouvelle, de patinoire. Et dans les d'aucuns, y'en a quelques uns qui voulaient déjà un nouveau stade, pour remplacer les Charmilles. On sait ce qu'il en est advenu : le trou de la Praille, dit « Stade de Genève ». Pour la nouvelle patinoire, prévue au Trèfle-Blanc, à Lancy, on n'a plus d'investisseurs après l'évanouis-sement d'un projet canadien. Mais le terrain appartient à l'Etat. Reste la construction du machin, pour lequel le club dont la survie a été assurée par des fonds publics a le front de poser des exigences, notamment celle de disposer d'au moins 10'000 places. Et au Conseil municipal, le PLR réclame une deuxième patinoire aux Vernets en attendant que la patinoire de Lancy sorte de son frigo. Et qu'on puisse marmonner « vous avez aimé le stade de la Praille ? vous adorerez la patinoire du Trèfle Blanc ! ». Et pourquoi pas une troisième patinoire? Et une quatrième ? Des tas de patinoires. Des patinoires partout. A ras de terre, en sous-sol, en hauteur. Couvertes ou à l'air libre. On n'aura qu'à dire que c'est pour lutter contre le réchauffement climatique.

Selon une étude des services municipaux lausannois, il y aurait 43 % d'étrangers à Lausanne. Bon, c'est pas tout à fait autant qu'à Genève, où ils constituent 48 % de la population de la ville, mais ça n'empêche pas «Le Temps» de titrer, tout fiérot : «Lausanne aussi cosmopolite que Genève »... Bientôt (le 14 juin prochain ?) « Appenzell aussi féministe que Reykjavík » ?

Jeudi dernier, Emmanuel Macron a décoré Michel Houellebecq de la Légion d'Honneur, et l'en a fait chevalier, en le qualifiant de «romantique perdu dans un monde qui est devenu matérialiste ». A une revue religieuse, conservatrice et  américaine, ce qui fait beaucoup, Houellebecq en a appelé à une «restauration du catholicisme dans son ancienne splendeur » pour «réparer notre civilisation endom-magée ». Bonne idée, ça : on restaure le catholicisme dans son « ancienne splendeur » (celle du tgemps des Borgia ?), ce qui provoque forcé-ment, après quelques Croisades, une nouvelle Réforme, d'où de nouvelles guerres de religion, d'où finissent par sortir de nouvelles Lumières, qui accouchent d'une Révolution, accompagnée d'une déchristiani-sation menant à la laïcité, à quoi répond un appel à la restauration du catholicisme « dans son ancienne splendeur », et on repart pour un tour dans un mouvement perpétuel d'histoire cyclique. La répétition de l'histoire comme alternative à la fin de l'histoire, exaltant, non ? euh...

On aime bien penser que la France est fauchée, raide comme un passe-lacet, en crise financière, budgétai-rement rasibus, quasi en faillite... et puis voilà : un incendie de Notre-Dame, et un milliard tombe du ciel en 24 heures pour réparer les dégâts. Quelques mois après que Macron ait sorti dix milliards pour calmer les «gilets jaunes»... Donc, pour refaire Notre-Dame « plus belle qu'avant » comme l'a promis Manu, en deux jours la Fondation de France a récolté 21 millions, la Fondation pour le patrimoine 11 millions, le gouvernement a annoncé un projet de loi accordant une réduction fiscale de 75 %du montant des dons des particuliers inférieurs à 1000 euros et de 66 % au-delà... Et on disait qu'il y avait pas assez de fric pour hausser le salaire minimum, loger les sdf et renforcer les aides sociales ? du pognon, y'en a, à la pelle, même... Mais on le collecte pour Notre-Dame de Paris, pas pour les Misérables.  Et il sort d'où, tout ce pognon ? les gros dons, ceux des milliardaires, il sortent des fortunes des gens qui payaient l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avant que Macrounet le supprime. C'est vrai que c'est quand même mieux de payer ce qu'on veut, quand on veut, pour ce qu'on veut, plutôt que de payer des impôts dont une (petite) partie sert à aider des pouilleux. Surtout que quand on fait un don genre pour Notre-Dame, une partie de ce qu'on donne droit à une exonération d'impôts : ceux qui peuvent faire un don de 100 millions peuvent ainsi déduire 60 millions de leur fortune imposable... un système qui a privé l'Etat de presqu'un milliard d'euros en 2017. A peu près trois fois plus que ce que l'Etat a pu, ou bien voulu, consacrer à l'entretien du patrimoine. Dont celui, apparemment défaillant faute de moyens, de la Cathédrale qui a brûlé... On peut s'autoriser à trouver complètement con un système qui fragilise l'état des monuments historiques pour ensuite compter sur la générosité des milliardaires et du du petit peuple afin de réparer les conséquences de ce défaut d'entretien ? Oui, on peut. De toute façon, s'il manque encore du pognon pour refaire Notre-Dame « plus belle qu'avant », y'à qu'à demander à l'église catholique de se remettre à vendre des indulgences.

Début mars, tout un beau monde était réuni à Cornavin pour baptiser un train  du nom de la Ville de Genève (pas « Genève » toute seule, non : « Ville de Genèv », vu que c'est à des villes qu'on dédie des trains) : les CFF, le président du Conseil d'Etat, le Maire de la Ville étaient là. Le train aussi. Sauf qu'il avait été livré avec cinq ans de retard, et qu'il ne sera pas mis en service avant au plus tôt la fin de l'année là où il devrait l'être, entre Genève et Saint Gall (c'est un train duplex pour grandes lignes fabriqué par Bombardier), vu qu'il y a des problèmes avec les portes, la traction et les logiciels. Oualà, oualà... Merci à Bombardier, de nous avoir inventé la Genferail, ça nous manquait.

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