Ouverture dominicale des magasins : Un cadeau inutile au patronat


Le 19 mai, on se prononcera à Genève sur une modification de la loi sur les horaires d'ouverture des magasins, modification imposée par la majorité du Grand Conseil sur mandat du patronat du secteur, pour l'autoriser à ouvrir les magasins qui le peuvent (c'est-à-dire les grands magasins) trois dimanches par an malgré l'absence d'une convention collective de travail, alors que l'existence d'une CCT était la condition posée par la loi, acceptée par le peuple en novembre 2017, pour une telle ouverture dominicale. Le projet de contourner cette condition a été combattu par un référendum lancé par les syndicats et la gauche. Plaidant pour ce cadeau inutile (il ne produira ni clients ni dépenses supplémentaires dans les magasins) fait par la droite au patronat du commerce, Pierre Maudet déclare dans GHI : "l'enjeu, c'est l'emploi local". Le sien ?

Quand la naïveté ne le dispute qu'à la mauvaise foi

La présidente de la Fédération du commerce genevois accuse les syndicats, qui ont lancé le référendum contre la loi bricolée par la droite parlementaire pour permettre au patronat d'ouvrir les magasins trois dimanches par année, d'ignorer "la situation de crise que traverse le commerce de détail" -mais qui est responsable de cette crise ? les salariées et les salariés ? leurs syndicats ? la réglementation des heures d'ouverture des magasins ? bien plus vraisemblablement, les changements de comportement des consommateurs, le tourisme d'achat transfrontalier, la vente sur internet (elle pèse 214 millions par an dans l'ensemble de la Grande Genève, 9 % du total des achats côté français, 5 % côté suisse) et le niveau des prix à Genève. Selon l'enquête sur les habitudes de consommation dans la Grande Genève*, seul un client sur quatre du côté suisse de la frontière la passe à cause des horaires d'ouverture des magasins, et c'est le prix des marchandises qui est le critère déterminant pour la plupart des trois autres, puis la possibilité de trouver en France des produits qu'on ne trouve pas en Suisse. La proximité et les horaires ne viennent, à égalité, qu'en troisième position des achats transfrontaliers. Enfin, l'ampleur même du "tourisme d'achat transfrontalier" est finalement assez modeste ("marginale et anecdotique", selon le président du Conseil d'Etat, Antonio Hodgers : sur 100 francs de dépenses de consommation courantes, un ménage résidant en suisse ne consacre que neuf francs à des achats en France (et un ménage résidant en France cinq francs à des achats en Suisse).
Il n'empêche que c'est cette pratique "marginale et anecdotique" qui est le principal argument du patronat pour justifier une ouverture dominicale des magasins genevois. Et là, on n'est plus dans le "marginal et l'anecdotique", on est carrément dans l'enfumage. Car insistons-y : ce ne sont pas les horaires de fermeture des magasins genevois qui réduisent leur clientèle mais les prix qu'ils pratiquent -et donc leurs marges bénéficiaires. Sans doute les petits commerces ne peuvent-ils pas les réduire -mais les grands magasins, les grands distributeurs, le peuvent. Et les chaînes spécialisées (comme Payot ou Oechsner) aussi.

Il est vrai que la loi est déjà contournée, notamment par Migros (mais aussi par la Coop), grâce à sa franchise "Voi" : deux magasins, place du Cirque et à Meyrin, ouverts le dimanche jusqu'à 17 heures. Gérés par des indépendants, ils échappent à la convention collective nationale valable pour tous les salariés de Migros et peuvent employer des personnes avec un salaire plus bas que celui de la CCT et sans treizième salaire. Le dimanche, les magasins Vox ne peuvent pas employer de personnel, ce sont donc les gérants qui les ouvrent, mais l'extension des horaires d'ouverture ne se fait pas que le dimanche : les horaires en semaine vont jusqu'à 20 heures, voire 20 heures 30. Et les Migros de l'aéroport de Cornavin sont ouvertes sept jours du sept, et à Cornavin jusqu'à minuit.

Il y a de la naïveté à croire qu'ouvrir plus longtemps, ou plus souvent, les magasins va accroître les dépenses qu'y font les consommateurs, et il y a de la mauvaise foi à le proclamer si on n'y croit pas : les dix ou cent balles dépensés dans un magasin ouvert le dimanche ne s'ajoutent pas aux dix ou cent balles dépensés dans le magasin ouvert la veille mais s'y substituent, et le revenu disponible des consommateurs ne s'accroît pas quand s'accroît l'ouverture des magasins.
Les petits commerces peuvent d'ailleurs déjà ouvrir le dimanche, à condition que leurs tenanciers ne fassent pas assumer la charge de cette ouverture par du personnel mais l'assument eux-mêmes. Sont-ce les gérants des Migros, des Coop, les patrons de Manor ou de Payot qui vont le faire s'ils obtiennent l'ouverture dominicale qu'ils demandent ? Bien sûr que non. C'est dommage, d'ailleurs : trois fois par année, ils pourraient subir ce que subit tous les soirs, dimanches compris, le personnel affecté à la Migros de la gare... et que nous ne voulons pas imposer encore plus largement à un personnel de vente déjà confronté à un  rythme de travail excessif, pour un salaire qui, lui, ne l'est pas.

Le 19 mai, ce sera donc NON à une ouverture dominicale inutile, acquise en contournant la loi, et assumée par un personnel déjà sur lequel pèserait une pression supplémentaire et que ne protégerait aucune convention collective digne de ce nom.

* l'enquête a été menée auprès de 3410 ménages genevois, vaudois et français (sur les 450'000 de la Grande Genève d'un million d'habitants). Ces ménages dépenses 7,633 milliards de francs pour leur consommation, dont 51 % pour leur consommation alimentaire. Un dixième de ce volume financier est affecté à des achats hors de la Grande Genève. Sur ce qui reste, 56 % est dépensé côté suisse (genevois et vaudois). 416 millions sont dépensés en France par des résidents suisses, 148 millions en Suisse par des résidents français.

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