Quelle Espagne dans une semaine ?


Entre PSOE et Vox

Dimanche, l'Espagne aura renouvelé son parlement (les Cortes). Et si on en croit les sondages, c'est un parti socialiste (le PSOE) ressuscité qui pourrait gagner ces élections -mais sans être certain de pouvoir rester au pouvoir, et un parti fasciste, franquiste, qui pourrait entrer au parlement pour la première fois depuis plus de trente ans. Deux sondages du 17 avril donnaient entre 28,9 et 30,5 % des suffrages au PSOE, loin devant la droite conservatrice (et de plus en plus à droite et conservatrice) du Parti Populaire (entre  18,8 et 21,3 %), la droite libérale de Ciudadanos (entre 14,9 et 16 %), la gauche de la gauche (Podemos) autour de 12,7 %, et l'extrême-droite (Vox) entre 10,9 et 12,2 %, mais avec le risque d'une minimisation par les sondages de son score possible). Les formations catalanes et basques de gauche (gauche républicaine catalane, gauche nationaliste basque) et de droite (Ensemble pour la Catalogne, parti nationaliste basque) sont évaluées ensemble autour de 5 à 6 % des suffrages au plan national (alors qu'ils ne présentent en fait qu'en Catalogne et en Euzkadi).  On aurait ainsi une gauche nationale et régionale à 46 ou 47 % des suffrages, une droite (extrême-droite comprise) au même niveau, avec les nationalistes basques et catalans en arbitres (historiquement, ils penchent généralement pour un soutien à un gouvernement de gauche). Pedro Sanchez pourrait donc rester Premier ministre,  mais même si le PSOE devait, comme il est prévisible, gagner les élections, il lui faudrait gagner l'appui du reste de la gauche et des formations catalanes et basques pour obtenir une majorité parlementaire (Selon l'enquête d'opinion publiée par le journal El Pais, la gauche obtiendrait 162 sièges, la droite et l'extrême-droite 156). Mais la forte proportion d'indécis au sein du corps électoral (41 % il y a dix jours) rend toute prévision périlleuse, sauf sur un point : pour l'Espagne, et pour la démocratie en Espagne (toute l'Espagne...) ces élections sont cruciales. Et donc dangereuses.


En attendant la résurrection de la République


Dix jours avant les élections législatives de juin 2016, le leader de la gauche de la gauche espagnole (Podemos), Pablo Iglesias, assurait : "notre adversaire est le PP et notre allié le PSOE". Mais en même temps, l'objectif de Podemos restait de dépasser le PSOE, et de devenir la première force de la gauche espagnole. Cinq ans plus tard, cet objectif n'a pas été atteint et Iglesias, qui proclamait "Je veux gouverner l'Espagne, puis quitter la politique", n'a ni gouverné l'Espagne, ni quitté la politique, et la droite est restée au pouvoir, grâce à l'abstention des socialistes lors du vote de confiance au parlement, jusqu'à ce qu'un nouveau leader du PSOE, imposé par la base du parti contre les caciques, ait redonné des couleurs au PSOE, puis, avec l'apport des députés nationalistes catalans et basques... et de ceux de Podemos, ait renversé le gouvernement du PP et pris sa place.

Dimanche, Podemos pourrait perdre jusqu'à la moitié de son électorat, au profit du PSOE. Un "vote utile" sans grande conviction, mais nourri des incohérences et des contradictions de la gauche de la gauche. Au sein de Podemos, deux lignes principales se sont affrontées, l'une portée par Pablo Iglesias, qui veut occuper le champ de la protestation et construire un "mouvement populaire" contre "la classe politique traditionnelle" l'autre par Iñigo Errejon, qui voulait "renforcer l'espace traditionnel de la gauche", et faire de Podemos un nouveau parti, mais pour l'essentiel sur le modèle organisationnel des partis politiques traditionnels Errejon a d'ailleurs fini par quitter Podemos. Parallèlement, Podemos se "respectabilisait", son discours politique se normalisait et le mouvement devenu parti se tournait, comme presque tous les autres partis, vers la "classe moyenne". En somme, Podemos est devenu une aile gauche de la social-démocratie : "Il y a un nouvel espace politique pour une quatrième social-démocratie à construire à partir de l'échec de la troisième voie" (l'échec du PSOE, donc), assurait Iglesias lui-même. C'est donc bien un projet social-démocrate qu'il voulait voir adopter par Podemos, mais dans une alliance avec le PSOE (une alliance déjà effective dans plusieurs grandes villes). "Notre programme est social-démocrate", insistait Iglesias, comme d'ailleurs l'était devenu le programme de l'"eurocommunisme" des années septante. C'est la social-démocratie qui, en s'abandonnant au social-libéralisme, s'est abandonnée elle-même : "nous sommes le résultat de l'échec de la troisième voie" (celle de Blair, de Schröder, de Gonzalez). Et qu'est-ce que ce programme "social-démocrate" de la "gauche de la gauche" espagnole ? Un programme directement inspiré du "modèle scandinave" : une "fiscalité redistributive et expansive", la défense des droits sociaux, le renforcement de la consommation intérieure, et un "européanisme souverainiste" qui implique une démocratisation des institutions européennes. Bref, sur le fond, le même programme que celui du PSOE de Sanchez, mais en un peu plus radical. Même sur la crise catalane, Podemos n'a pas réussi à adopter une ligne claire : favorable au droit à l'autodétermination mais opposée à l'indépendance, a déçu autant les tenants d'une sorte "d'internationalisme interne" voulant maintenir les nations constitutive de l'Espagne dans un même cadre étatique, que ceux des indépendances basque, catalane, voire galicienne. A côté de quoi le PSOE a réussi à apparaître à la fois comme un défenseur de l'unité dans l'Espagne et du dialogue avec les indépendantistes, tout en obtenant leur soutien parlementaire pour prendre le gouvernement. Et c'est lui, le PSOE, qui apparaît comme la seule alternative à la droite de plus en plus à droite (tant celle du PP que celle de Ciudadanos) et à l'extrême-droite, d'autant que le gouvernement Sanchez a pris toute une série de mesures sociales qui lui ont fait retrouver l'électorat populaire qui l'avait abandonné pour Podemos, et qui tend aujourd'hui à abandonner Podemos pour en revenir au PSOE.
Quant à Ciudadanos, qu'on aimait à présenter (et qui se présentait lui-même) comme un parti centriste, il a mis résolument le cap à droite, cannibalisant l'électorat du Parti Populaire et prédisant encore, début 2018, la "décomposition" non seulement du PP, mais aussi du PSOE... quelques mois plus tard, le chef du PSOE, Pedro Sanchez, arrivait au pouvoir... et seul le Parti Populaire se décomposait.
Enfin, il y a Vox : un parti ouvertement d'extrême-droite. Un parti qui se définit par ses phobies : homophobie, catalanophobie, xénophobie, islamophobie. Un parti dont le programme consiste à revenir sur la quasi-totalité des acquis de la "transition démocratique" : interdiction des partis "séparatistes", abolition des autonomies régionales, retour à un Etat centralisé, castillan et catholique, recriminalisation de l'avortement, refus du mariage homosexuel, défense de la tauromachie, de la chasse et de la ruralité.

Dimanche prochain, on assistera sans doute à deux résurrections en Espagne : celle du PSOE et celle du franquisme comme parti politique : le PSOE redeviendra le premier parti politique d'Espagne, et pour la première fois depuis 1982, un parti d'extrême-droite, Vox, nostalgique du franquisme, sera représenté au parlement espagnol. Et si, au fond, la seule résurrection qui importait était celle de la République ?

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