A propos d'un vote bernois sur l'aide sociale


Aidés ou assistés ?

Episode cantonal dans la guerre de tranchées politiques sur l'aide sociale : dimanche 19 mai, alors que toute la Suisse votait sur la réforme de la fiscalité des entreprise (couplée avec le financement de l'AVS) et la loi sur les armes, le canton de Berne votait sur la révision de l'aide sociale. Et refusait les deux révisions qui étaient soumises au peuple : celle proposée par la droite, le Grand Conseil et le Conseil d'Etat, qui réduisait de 8 %  (voire de 15 % pour les jeunes de 18 à 25 ans, et même de 30 % après six mois) le "forfait d'entretien" (le revenu minimum accordé aux plus pauvres), fixé à 977 francs par personne et par mois par la Conférence suisse des institutions d'aide sociale, et celle proposée par la gauche, qui renforçait le soutien aux chômeurs en fin de droit. Le statu quoi a donc été ratifié, le forfait d'aide sociale ne sera ni abaissé, ni augmenté. Mais ce n'est qu'un épisode cantonal, une pause, une trêve, entre ceux pour qui l'aide sociale est un droit et ceux pour qui celles et ceux qui la reçoivent ne sont que des assistés, pour ne pas écrire des parasites.


Nous parlons de droit, pas d'aumône.

A Genève, 70'509 résidents, soit en gros 14 % de la population, a reçu une aide sociale (versement, allocation, prestation, avance) en 2017. A l'échelle de toute la Suisse, ce sont 801'793 personnes, soit 9,5 % de la population résidente, qui ont bénéficié d'au moins une prestation d'aide sociale cette même année -un pourcentage stable depuis 201, mais qui, compte tenu de l'augmentation de la population, aboutit à ce que le nombre de personnes ayant touché une aide sociale ait augmenté de 1,9 % en 2017, et de 40 % en six ans pour les personnes de 50 à 65 ans.

L'aide sociale est un droit. Les prestations qui la matérialisent sont donc des droits -soumis à conditions de ressources, mais une fois que ces conditions sont remplies, ces droits doivent pouvoir se concrétiser. Or, en Suisse, entre 40 et 60 % des ayant-droit potentiels à des aides sociales renoncent à les solliciter -ou ne savent même pas qu'ils peuvent y avoir droit. Plusieurs facteurs peuvent les conduire au renoncement à recourir à ces aides : la complexité des procédures, le doute de pouvoir obtenir ce que l'on sollicite, la crainte d'une stigmatisation sociale ou la honte d'en être réduit à cette sollicitation... on se retrouve dans une situation qui produit de l'inégalité entre ceux qui réussissent à faire valoir leurs droits et ceux qui y renoncent, ou ignorent qu'ils peuvent le faire, et on constate l'aggravation des conditions sociales, voire physiques, d'existence des laissés-pour-compte de l'aide sociale, faute d'une prise en charge à temps. Il vaut en effet mieux, pour les personnes concernées mais aussi pour la collectivité, fournir un logement à qui n'en a pas que devoir le ou la loger à l'hôtel, lui permettre de recevoir des soins quand ils peuvent être efficaces plutôt que trop tard pour qu'ils le soient. Pour que les droits sociaux ne soient pas réduits à être une loterie, il suffirait pourtant de deux décisions purement instrumentales : développer une information compréhensible sur ces droits auprès de toutes celles et de tous ceux qui les ignorent ou n'osent pas les faire valoir, et, pour chaque prestation où c'est possible, l'accorder automatiquement et directement, sans qu'elle ait besoin d'être sollicitée, à l'instar des subsides d'assurance-maladie à Genève.

Voltaire raconte : "Un gueux des environs de Madrid demandait noblement l'aumône. Un  passant lui dit : "N'êtes-vous pas honteux de faire ce métier infâme quand vous pouvez travailler ? -Monsieur, répondit le mendiant, je vous demande de l'argent et non pas des conseils." Puis il lui tourna le dos en conservant toute sa dignité castillane".

Nous parlons de droit, pas d'aumône.

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