Elections européennes : Et maintenant ?


Deux surprises dans les résultats des élections européennes : d'abord, le taux de participation est en forte hausse presque partout par rapport aux précédentes élections, alors qu'on l'attendait en baisse. Ensuite, les résultats globaux de l'extrême-droite sont en dessous de ses attentes, malgré ses succès en France (mais elle y était déjà en tête en 2014), en Italie). Pour le reste, la progression des Verts était prévisible, mais elle prend en Allemagne et en France des proportions inattendues -et les Verts sont au final les grands gagnants continentaux de ces élections. Quant aux socialistes, s'ils sont réduits à la portion congrue en France et défaits en Allemagne, ils sont gagnants en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas et résistent assez bien en Italie. Et les Brexiters arrivent largement en tête au Royaume-Uni, comme il y a cinq ans, où les Conservateurs se prennent une branlée historique. Résultat continental des courses nationales : les deux principaux groupes politiques du parlement européen (les conservateurs du PPS et les sociaux-démocrates) reculent lourdement et perdent leur majorité absolue, les libéraux se renforcent et deviennent, grâce à l'entrée des macronistes, des alliés indispensables aux deux autres grands groupes, et les Verts progressent fortement, comme les représentants de l'extrême-droite -mais ceux-ci dans le désordre de groupes parlementaires éclatés.

Pas de "tremblement de terre", mais une petite secousse. Verte, pas brune.

Et maintenant ? Les rapports de force au sein du parlement étant définis, ce sont ceux au sein de la commission et du Conseil qui vont être déterminants. Car une fois le parlement élu, il faudra élire le président de la commission, le successeur de Jean-Claude Juncker. Le groupe le plus nombreux (celui de la droite démocratique et conservatrice du PPE) présentera son candidat, le deuxième groupe, celui des sociaux-démocrates, présentera le sien, le groupe des libéraux aussi, comme l'extrême-droite et les Verts le sien ou la sienne... mais en fait, le parlement ne fera que confirmer le choix des chefs d'Etat et de gouvernement. Et là, à nouveau, les enjeux nationaux dans chacun des Etats membres vont sans doute peser plus lourdement que les projets européens.

"La démocratie décline dans toutes les régions du monde" constate l'ONG "Freedom House" : des démocraties se muent en dictatures, d'autres en régimes formellement démocratiques mais profondément autoritaires, allergiques au pluralisme culturel, politique et social. Et celles qui restent à la fois démocratiques et pluralistes passent des alliances avec des régimes autocratiques, voire théocratiques : l'Arabie Saoudite assassine un journaliste, mène une sale guerre au Yemen, torture les militantes féministe, décapite des opposants, finance des mosquées intégristes -mais on fait alliance avec elle, on lui vend des armes et on lui achète du pétrole. Au terme de cette évolution, droits politiques et sociaux, libertés publiques et privées, déclinent presque partout. Presque, parce que l'Europe fait encore, pour la plupart de ses Etats (membres ou non de l'Union Européenne) exception. "La plupart" ? Pas tous, en effet, car la tentation  autoritaire  et la réduction de la démocratie au formalisme des procédure de décision y sévissent aussi. Sept gouvernements d'Etats membres de l'Union Européenne peuvent être considérés comme partie prenante du "populisme réactionnaire". Ils ne casseront pas l'Union, mais peuvent la paralyser puisque la règle de l'unanimité des Etats membres, représentés par leurs chefs d'Etat ou de gouvernement, prévaut au Conseil européen. Cette paralysie de l'Union Européenne, n'est-ce pas l'objectif de Poutine et de Trump ?

Les partis de Marine Le Pen, Matteo Salvini et Viktor Orban arrivent en tête de l'élection européenne dans leurs pays respectifs. Pour autant, l'extrême-droite européenne n'a pas atteint son objectif essentiel, constituer une force capable de contester la majorité absolue formée des conservateurs du PPE et des sociaux-démocrates, désormais élargie aux libéraux. Les stratégies des différentes composantes de l'extrême-droite européenne (des nationalistes xénophobes et racistes aux "antisystème"), qui généralement ne proposent plus de rompre avec l'Union Européenne, façon Brexit, mais de la transformer en une sorte de conglomérat d'Etats autoritaires, chrétiens et conservateurs, peuvent rapidement entrer en conflit : si Matteo Salvini apparaît comme le leader continental de cette droite de la droite, nationaliste, xénophobe et réactionnaire, sa propre stratégie ne consiste pas à la rassembler comme une force concurrente des autres grandes coalitions politiques de droite, mais comme une alliée de la coalition conservatrice et chrétienne. Et pour la réalisation de ce projet, le Hongrois Viktor Orban et son parti, le Fidesz, est d'un apport bien plus intéressant que la Française Marine Le Pen et son Rassemblement national : il permet un rapprochement avec la droite du Parti populaire européen, alors qu'elle éloigne la perspective d'un tel rapprochement. Avec Orban, Salvini a d'ailleurs lancé un manifeste de lutte contre l'immigration. Salvini veut sortir de l'extrême-droite pour pouvoir coopérer avec la droite du PPE, pas renforcer l'extrême-droite : il sait qu'elle n'a de chance de peser sur l'Europe que par une telle alliance, et que sans cette alliance, elle ne sera jamais qu'une capacité de nuisance. Du coup, la Lega italienne a troqué ses discours europhobes, sa rhétorique de rupture avec l'Europe, son projet de sortie de l'euro, pour un programme explicitement réactionnaire, faisant référence aux "racines chrétiennes" du continent et faisant de la lutte contre l'islam une priorité. Un programme qui n'a aucune chance d'être réalisé par une addition de forces d'extrême-droite, et qui ne pourrait l'être que par une alliance avec la droite conservatrice. Dans cette perspective et pour cette ambition, Le Pen ou Farrage ne sont pas des alliés, mais des entraves.
Le gourou américain de l'extrême-droite européenne, Steve Bannon, promettait un "tremblement de terre"? on a eu une petite secousse. Verte, la secousse, pas brune.

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