La Mère de tous les votes genevois du 19 mai


La culture comme socle

C'est le vote qui fait le moins débat à Genève, avant le 19 mai. Même les habitués du "y'en a que pour la culture et jamais rien pour le sport" sont inaudibles. C'est pourtant, peut-être, le plus essentiel : le vote sur l'initiative pour une politique culturelle concertée entre les communes et le canton. C'est le moment : se construisent et vont s'ouvrir à Genève quatre lieux culturels d'importance bien plus que municipale ou cantonale : un nouveau Théâtre de Carouge, une Nouvelle Comédie, un Pavillon de la Danse, une Cité de la Musique. Et le Grand Théâtre a un nouveau directeur et de nouvelles ambitions. Dans une si petite République, la politique culturelle rayonne forcément au-delà de ses frontières -elle ne peut donc reposer sur les seules épaules des quelques communes qui en ont une, à commencer par la Ville. Le canton doit donc s'impliquer -et l'initiative l'implique. Enfin. Sans doute la norme constitutionnelle qu'elle propose ne suffira-t-elle pas à faire du canton, non pas l'acteur principal de la politique culturelle genevoise, mais son arbitre, et une loi devra y pourvoir -et on voit mal comment elle pourrait ne pas entrer en contradiction celle qui actuellement fonde une "répartition des tâches" où le canton ne joue guère que les utilités, mais peu importe : il faut commencer par le commencement, poser le principe d'un "faire ensemble", canton, Ville, communes s'associant. Et n'en déplaise à l'UDC, qui ne veut pas "sanctuariser la culture" (elle n'en vaut pas la peine ?), la place d'un tel principe est bien dans la constitution.


Genève ne tient ni par le fric, ni par l'Etat, mais par la culture

Pourquoi, sur quoi, tient Genève ? Les partisans de la RFFA vous répondront : sur sa place financière et son secteur international, les défenseurs de la caisse de retraite des fonctionnaires répliqueront : sur son secteur public. Nous dupliquerons : Genève ne tient ni par le fric, ni par l'Etat, mais par la culture. Le fric donne des moyens, il ne dit pas à quoi les utiliser. L'Etat affecte ces moyens, il ne leur donne pas un sens. Et c'est bien ce que l'histoire de Genève enseigne.

Si Genève eut un empire, et elle en eu un, c'est un empire indistinct, sans autre frontières que celles des convictions et des adhésions : l'empire de la parole et de l'écrit, de l'enseignement et du débat. Pas l'empire d'Auguste, de Charlemagne ou de Napoléon, mais celui de Calvin et de Rousseau. Les empires politiques, géographiques, pesamment assis sur la terre, sombrent ou s'effritent, disparaissent lorsque le pouvoir qui les tient est failli ou abattu, ou lorsque leur territoire est envahi -mais l'empire du mot, de la parole écrite ou parlée, diffusée ou enseignée, l'empire des signes et des sons, comment le conquérir sinon en s'y associant ? Cet empire-là défie le temps, et s'il ne laisse guère de traces dans la pierre, il en laisse, et de plus durables, dans l'Histoire et les esprits. Lors même qu'il n'y aurait plus de calvinistes, que Rousseau serait tombé dans l'oubl, que Piaget ne serait plus connu que de vieux pédagolâtres décrépits et Starobinski plus vénéré que par une improbable escouade de critiques de la critique littéraire, ce qu'ils dirent, écrivirent, enseignèrent resterait. Et c'est ainsi que Genève tient par la culture. Singulière ville, ville inexistante, dirait-on, ou qui ne serait qu'un point imperceptible sur une carte si l'Histoire qu'elle a nourrie n'en avait décidé autrement et ne lui avait donné un rôle qu'elle ne voulait pas jouer et qu'elle rechigne encore dans ses profondeurs à jouer, et qu'il faut en quelque sorte la forcer à jouer. Et c'est là, encore et toujours, affaire de culture. Et de politique culturelle.
Et, dimanche, d'un vote pour une politique culturelle concertée.

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