Défaite électorale d'Erdogan : A Istanbul ce fut Byzance...




Ekrem Imamoglu, le candidat du Parti républicain du peuple (CHP), l'opposition social-démocrate, kémaliste et laïque au président Erdogan et à son parti (l'AKP) a été assez largement (54 % des suffrages) élu, pour la deuxième fois, à la Mairie d'Istanbul. Erdogan, son parti et les media à leur solde avaient pourtant tout fait pour éviter cette défaite : la première élection d'Imamoglu, le 31 mars, avait été annulée le 6 mai, et pendant toute la campagne pour cette seconde élection, les media aux ordres n'ont cessé de tenter de décrédibiliser, voire d'insulter Ekrem Imamoglu présenté tantôt comme un suppôt du terrorisme (kurde), tantôt comme un "Grec pontique", tantôt comme ayant le projet de faire du drapeau arc-en-ciel de la communauté LGPT le drapeau de la ville.

"Plus qu'une élection municipale, il s'agit d'une lutte pour la démocratisation de la Turquie"

Le CHP (Parti républicain du peuple), qui a donc de remporté pour la deuxième fois l'élection à la Mairie d'Istanbul  est sans doute le plus vieux parti politique de Turquie : c'est le parti de Mustapha Kemal "Atatürk" et d'Ismet Inönü. Mais c'est désormais un parti aux mains d'une nouvelle génération de dirigeants et d'élus, dont Ekrem Imamoglu est la personnification. Ce renouvellement du vieux parti kémaliste lui a permis de remporter la bataille d'Istanbul, en mobilisant derrière son candidat non seulement toute l'opposition, mais aussi les "déçus de l'AKP et d'Erdogan", en tirant aux urnes les abstentionnistes (ils étaient plus d'un million et demi lors de l'élection de mars) et en obtenant le soutien de l'important électorat kurde, alors même que le CHP n'est guère plus réceptif réceptif aux revendications kurdes que l'AKP. Ekrem Imamoglu avait en effet obtenu le soutien du principal parti kurde, le HDP (qui n'est d'ailleurs pas que kurde et se définit lui-même comme le "parti des peuples"), soutien essentiel compte tenu de l'importance de la population kurde d'Istanbul, alors que le chef emprisonné de l'autre parti kurde, le PKK, spécifiquement kurde celui-là, et interdit, Abdullah Öcalan, avait appelé à l'abstention, ce qui aurait évidemment favorisé le candidat d'Erdogan.

Alors bien sûr que la crise économique qui frappe la Turquie (récession, inflation, perte de la valeur de la Livre par rapport au dollar et à l'euro) a joué un rôle dans la défaite du candidat d'Erdogan, mais cette défaite est tout de même celle d'Erdogan, et quoiqu'il ait tenté dans les derniers jours de la campagne d'en minimiser l'importance, elle est lourde, parce qu'Istanbul est la ville la plus riche (elle concentre un tiers du PIB du pays et 40 % de ses revenus) et la plus peuplée (14 millions d'habitants) de Turquie, que son poids politique est donc considérable -et plus encore le poids symbolique de la prise de sa mairie. Et donc de sa perte par le parti présidentiel, qui la gouvernait depuis 25 ans (Erdogan lui-même en ayant été maire et y ayant commencé son ascension politique), et dont il tirait des ressources financières considérable (la municipalité alimentait les caisses du parti à travers les marchés publics) : Imamoglu n'a été maire que trois semaines entre sa première élection et son annulation, mais elles lui ont suffi pour commencer à mettre au jour des réseaux de corruption aboutissant à Erdogan lui-même.

En Turquie, aujourd'hui, un citoyen peut-être arrêté, emprisonné condamné des années de prison, voire la perpétuité, simplement pour avoir défendu des valeurs et des principes démocratiques. Des dizaines de députés et de maires sont en prison pour avoir défendu, pacifiquement, les droits des Kurdes, et des intellectuels, des journalistes, et des artistes pour avoir reconnu le génocide arménien. Et la Turquie s'est engluée en Syrie, moins pour défendre le régime de Bachar el Assad que par peur de voir se créer à ses frontières un Kurdistan autonome, presque indépendant de facto. "Plus qu'une élection municipale, il s'agit d'une lutte pour la démocratisation de la Turquie", avait déclaré Ekrem Imamoglu avant son élection. Remportant celle-ci, il remporte ce premier combat. Et a proclamé vouloir faire d'Istanbul une cité "juste et égalitaire" et "la locomotive de la transformation démocratique de la Turquie". Cette première victoire de l'opposition n'est sans doute que le début d'une assez longue marche : le parti d'Erdogan a gagné toutes les élections en Turquie depuis 2002, même s'il les a généralement perdues au Kurdistan et, depuis peu, les perd dans les grandes villes), et cette onction électorale a toujours été invoquée par le Sultan pour justifier tous ses actes politiques. En la perdant à Istanbul, c'est un peu de sa propre légitimité qu'il a perdue.

Qu'en dirait notre maître à tous, Nasreddine Hodja ? Un jour, les gardes de Tamerlan lui amenèrent un voleur pris en flagrant délit dans le palais du Conquérant. De fort méchante humeur, Tamerlan cria qu'on lui donne un bâton "je vais administrer cent coups de bâton à ce voleur", annonça-t-il. Nasreddine Hodja, qui se trouva là, éclata de rire... "Qu'est-ce que tu as à rire, imbécile ?", lui demanda Tamerlan,,, qui continua : "puisque cent coups te font rire, je vais lui en administrer trois cent"... et le Hodja de rire de plus belle... "et tu continues à rire ? C'est bon, mille coups de bâton à ce voleur", cria le Conquérant... et le Hodja de se tordre les côtes de rire... "Mais enfin, qu'est ce qui te fait rire quand j'annonce que je vais donner mille coups de bâton à un voleur ?"...
- Seigneur, réussit Nasreddine, à articuler entre deux hoquets d'hilarité, c'est que le voleur et toi, vous serez morts l'un et l'autre bien avant le millième coup de bâton...

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