La loi, c'est la loi. Ouais, et alors ?


Promis, juré...

L'épisode picrocholin de la convocation de trois conseillers municipaux genevois par la police pour les entendre sur de possibles violations de leur secret de fonction, secret qu'ils avaient, au moment de leur prise de fonction, promis (comme l'auteur de ces lignes) ou juré de respecter, cet épisode donc avait déjà suscité ici quelques remarques sur ce que signifie, fondamentalement, respecter (ou non) la loi -puisque c'est de cela dont il s'agissait, la loi interdisant de divulguer des informations couvertes par le secret de fonction. Or si la loi ordonne, elle ne rend rien impossible de ce qu'elle interdit, ni rien inéluctable de ce à quoi elle oblige. Et face à toute loi, celle ou celui à qui elle s'applique choisit d'y obéir ou non -qu'il s'agisse d'une limitation de vitesse ou d'un secret de fonction. Et on ne peut attendre qu'une chose de qui choisit, délibérément, de ne pas respecter une obligation légale : qu'il ou elle assume ce choix, puisque c'est le sien. Elus dans un parlement, on a promis ou juré de respecter la loi, la constitution, les règlements. Mais a-t-on promis ou juré de tenir sa promesse, de respecter son serment ? Et l'aurait-on promis ou juré, cette promesse de promesse, ce serment de serment, aurait-il valeur de loi sacrée ou de loi de la nature ? Elle n'aurait de valeur que celle d'un acte social, de la complaisance, sincère ou feinte, à un rite.


Je ne suis pas la pomme qui n'a pas le choix de tomber ou non sur la tête de Newton

Pour Spinoza, celui qui n'obéit à la loi que par crainte d'être puni s'il ne le fait pas "agit par le commandement d'autrui et est contraint par le mal qu'il redoute". en ne peut donc "dire qu'il soit juste". Le juste, c'est celui "qui rend à chacun le sien parce qu'il connaît la vraie raison des lois" et décide de les respecter, non par "le décret d'autrui" mais "par son propre décret" Car on est toujours libre de suivre la loi (quelle qu'elle soit) ou de ne pas la suivre, et on ne la suit véritablement ("par son propre décret") que lorsqu'on est convaincu qu'elle est juste -sinon, on ne fait que s'y soumettre par peur :
"Qui fait le bien (...) par connaissance vraie et amour du bien, agit librement et d'une âme constante; qui au contraire le fait par crainte du mal, agit contraint par le mal qu'il redoute, et en esclave vit sous le commandement d'autrui". Autrement dit : seul respecte véritablement la loi celui qui en admet la justesse -celui qui ne s'y plie que parce qu'il a peur de la sanction de son irrespect, en fait ne la respecte pas, mais seulement s'y résigne.

Je pense ce que je veux, ce vouloir supposant une pensée préalable de vouloir, mais surtout ce que je peux, ce que mes passions, mes sentiments, mon histoire, me laissent penser vouloir faire, et la société, l'Etat, font ensuite le tri de ce que je puis faire avec son approbation ou sa tolérance, et de ce que je ne puis faire que contre les normes en vigueur. Mais c'est toujours moi qui choisit de faire ou ne pas faire. Je puis donc toujours, souverainement, décider de faire ce qu'on m'interdit faire, et de ne pas faire ce qu'on m'ordonne de faire. J'en décide à mes risques et périls -des risques et périls d'ailleurs infiniment moins grands, et donc bien plus aisés à prendre, dans nos sociétés démocratiques et pluralistes, sous nos Etats de droit, qu'en despotisme bureaucratique, militaire ou théocratique.

La loi sociale, la loi de l'Etat, n'est pas une loi naturelle mais une loi humaine, arbitraire et relative.Je ne suis pas la pomme qui n'a pas le choix de tomber ou non sur la tête de Newton : l'attraction terrestre et son propre mûrissement ont décidé pour elle. Face à la loi de la société ou de l'Etat, je décide toujours de la respecter ou non : "je pars du Droit naturel de l'individu, lequel s'étend aussi loin que son désir et sa puissance, nul suivant le droit de la Nature n'étant tenu de vivre selon la complexion d'autrui, chacun étant le défenseur de sa liberté propre" (Spinoza), laquelle contient la liberté de se plier au droit, arbitraire et relatif, de l'Etat autant qu'elle contient la liberté de ne s'y pas plier. En assumant les conséquences de son choix. Il est vrai que cela, c'est trop demander à certains.


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