Récupération politicienne parasitaire et engagement syndical


De bric, de broc et de toc

Hier soir, au Conseil municipal de la Ville de Genève, on a assisté à ce spectacle très curieux, et qui ne se peut comprendre que si on garde à l'esprit que dans dix mois, les élections municipales auront renouvelé ce Conseil (et le Conseil administratif), d'un PLR et d'un MCG se faisant, péniblement, passer pour les défenseurs du personnel municipal. Qui mérite en effet qu'on le soutienne. Mais qu'on le soutienne efficacement, pas qu'on se serve de lui pour  se faire mousser et régler des comptes électoraux. Ce personnel a des défenseurs et ce n'est pas le Conseil municipal, ce sont les syndicats. Ils ont été fondée pour cela, ils ont 150 ans d'expérience dans ce combat, ils sont libres de leurs paroles et de leurs actes, et ne visent, eux, aucun siège à l'exécutif de la Ville. Les postures et gesticulations de la droite municipale (sauf l'UDC...) peuvent-elles tromper qui que ce soit ? Evidemment non : ce serait confondre une récupération parasitaire avec un engagement syndical.  Et d'ici à ce que les salariés de la fonction publique municipale prennent le PLR et le MCG pour ses défenseurs, l'auteur de ces lignes aura réussi à passer pour un défenseur des équilibres financiers. Autant dire qu'on a le temps. Qu'on tentera de consacrer à une véritable défense de l'autonomie et des compétences de la commune -pas aux illusions de pouvoir d'une majorité parlementaire de bric, de broc et de toc.


"casser le mépris du Conseil d'Etat et du parlement" cantonal


Depuis le début de la législature, à un rythme régulier mais de plus en plus accéléré, les conseillers municipaux de la Ville de Genève reçoivent copie de décisions du service des affaires communales, le SAFCO, nouveau nom de la bonne vieille "surveillance des communes", les informant que telle de leurs décisions a été annulée, ou amputée, ou transformée en résolution déclamatoire, parce qu'elles ne respectent pas le cadre légal. Et la semaine dernière, nous avons reçu une liste de 20 décisions du Conseil municipal de Genève ayant subi le triste sort de certains  martyrs chrétiens : le démembrement, l'étouffement, l'écorchement... Et cette liste impressionnante pose deux questions de compétences : d'abord celle, technique, des conseillers municipaux, incapables de calibrer leurs propositions aux possibilités que leur donne la loi. Mais à cette question-là au moins, les conseillers municipaux peuvent eux-mêmes répondre : en ne balançant pas des propositions dont ils peuvent savoir qu'elles finiront dans un congélateur ou un carton d'archives.
Et puis, il y a la deuxième question de compétences, la plus importante, la plus politique (et la moins politicienne) : celle de la répartition des compétences entre la Commune et la République, de la tutelle de la seconde sur la première et de la réduction des compétences de la première par la seconde. Les communes genevoises sont les moins autonomes de Suisse, si on fait abstraction du cas particulier de Bâle. Et ce n'est pas une fatalité, mais un héritage historique. Il n'y avait pas de communes dans l'ancienne République (pour le coup, vraiment "une et indivisible"...), et c'est le "régime français" imposé par l'annexion de Genève à la Ière République qui a créé les communes.  Lorsqu'au "régime français" a succédé le "régime suisse", la République et canton,  a maintenu cet héritage (sauf pour la commune de Genève, qu'elle s'est empressée de supprimer), mais s'est bien gardée de donner aux communes des compétences qui pouvaient faire de l'ombre au canton. Cette méfiance du canton à l'égard des communes en général, mais tout particulièrement de celle de Genève, est une permanence. En élisant les Conseillers d'Etat, les citoyennes et les citoyens des communes genevoises élisent leurs baillis. Sandrine Salerno a beau plaider pour "casser le mépris du Conseil d'Etat et du parlement" cantonal pour les communes (elle aura eu largement l'occasion de le mesurer en tant que responsable des Finances de la Ville de Genève), il faudra plus qu'une élection pour y arriver : quelque chose qui tiendrait, à Genève, d'une petite révolution. Qu'on ne peut guère compter sur le Conseil municipal de la Ville (et moins encore sur ceux de ses membres qui cumulent leurs mandats de conseillers municipaux et de députés au Grand Conseil) pour fomenter.

Le "municipalisme libertaire", revisité notamment par Murray Bookchin, fait reposer la démocratie sur l'auto-organisation et l'autogestion à l'échelle municipale, et sur la fédération des communes pour remplacer l'Etat. "Comme (le peuple) possède une grande dose d'instinct pratique, il se trompe rarement dans les élections communales, par exemple. Il connaît plus ou moins les affaires de sa commune, il s'y intéresse beaucoup, et il sait choisir dans son sein les hommes (au temps où écrit Bakounine, les femmes n'avaient, évidemment, pas e droit de vote...) les plus capables de les bien conduire. Dans ces affaires, le contrôle lui-même est possible, puisqu'elles se font sous les yeux des électeurs, et touchent aux intérêts les plus intimes de leur existence quotidienne. C'est pourquoi les élections communales sont toujours et partout les meilleures, les plus réellement conformes aux sentiments, aux intérêts, à la volonté populaires" (Bakounine). Et le syndicaliste révolutionnaire allemand Karl Roches, pourtant plus favorable que ses camarades aux bolchéviks, écrit en 1919, après la prise du pouvoir d'Etat par les bolchéviks : "Nous rejetons l'Etat parce qu'il ne convient pas au socialisme. Nous acceptons la Commune parce qu'elle donne aux travailleurs la possibilité de se gouverner".

Que le Conseil municipal de la Ville de Genève se prenne tout à la fois pour la Commune de Paris, le Soviet de Petrograd et la Barcelone libertaire ne pourrait que nous réjouir s'il méritait ces glorieuses ascendances. Mais il ne les mérite pas, et il il lui faudrait bien de la prétention, mêlée à pas mal d'analphabétisme historique, pour pouvoir s'en réclamer.

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