Avant-projet du Département de la cohésion sociale d'un message sur la politique culturelle cantonale : Qu'en faire ?


Avant-projet du Département de la cohésion sociale d'un message sur la politique culturelle cantonale : Qu'en faire ?

L'Initiative populaire cantonale "Pour une politique culturelle cohérente à Genève", massivement acceptée (à 83 %...) en mai dernier, a intégré dans la Constitution genevoise un alinéa précisant que le canton et les communes (dont la Ville) élaborent et mettent en œuvre une stratégie de cofinancement pour la création artistique et les institutions culturelles". Elle assigne à l'Etat les tâches de promouvoir la création artistique, de mettre à disposition des espaces adéquats, d'encourager les échanges culturels, d'assurer la participation et l'accès à la culture et le soutien à ses acteurs et actrices, de veiller à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine culturel. Toutes tâches à quoi, évidemment, une proclamation constitutionnelle ne peut suffire : il faut des moyens. Des ressources. Des budgets. Et une volonté politique claire. Et une majorité parlementaire. Et une vraie concertation. Tout ça ? Tout ça... Le comité de l'initiative, accuse l'"avant-projet de message sur la politique culturelle cantonale" mis en consultation par le département du Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz de trahir l'initiative : son message ne procède d'"aucune consultation des milieux culturels, aucune concertation", ne propose aucune mesure de soutien à la création, et est marqué par la faiblesse (pour le moins) du partenariat avec les communes et la Ville... Bref, le comité d'initiative renvoie sa copie au magistrat et lui demande de remettre l'ouvrage sur le métier...


"Pas de vision partisane de la culture". Vraiment ?

La loi sur la culture impose au gouvernement de régulièrement exprimer ses intentions en matière de politique culturelle, et de les soumettre à consultation. L'avant-projet de "Message sur la politique culturelle cantonale" mis en consultation par le Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz répond à cette exigence -mais comment y répond-il ?  Dans sa réaction à cet avant-projet de message "La Culture lutte" commence certes par saluer "la volonté du magistrat et de son Département de doter le canton d'un message culture" (cette volonté toutefois va plus loin, elle est celle de doter le canton d'une politique culturelle...), mais se dit "(stupéfaite) que celui-ci ne soit ni programmatique, ni stratégique, ni chiffré". En fait, programmatique il l'est. Mais stratégique, non, et chiffré moins encore. Sand doute manque-t-il d'ambition, à moins qu'il cache son ambition réelle sous des formulations floues et des lieux communs rassurants. Il est vrai qu'un Message de politique culturelle (ou son avant-projet) n'est ni un projet de loi, ni vraiment un programme politique, et encore moins un budget.

Dans son introduction, le texte est présenté comme "évolutif" : il présente des "priorités (qu')il met en consultation auprès de ses partenaires de référence". "Dès l'adoption par le Conseil d'Etat du document final naîtra un plan d'action précis, prévoyant une évaluation annuelle", formant bilan transmis au Grand Conseil. Par qui, cette évaluation ? le Département cantonal ? le Conseil consultatif de la culture ? Le Conseiller d'Etat considère que "le canton doit affirmer et renforcer sa place et son potentiel moteur auprès des scènes culturelles, et ce à tout niveau : communal, cantonal, régional, national et international". Mais s'il ne l'affirme et ne la renforce qu'au détriment des autres acteurs institutionnels, en particulier de la Ville, on ne serait que dans un jeu à somme nulle : on ne renforcerait pas la scène culturelle, on ne donnerait pas une nouvelle vigueur à la politique culturelle, on ne changerait que la répartition des engagements publics. Ce n'est pas contre, mais à côté des autres que le canton doit se renforcer, et ce renforcement doit être une addition, pas une division, ni une concentration.

Cela étant, l'avant-projet de message fait tout de même état d'éléments programmatiques précis -ce ne sont pas encore des engagements du Conseil d'Etat, approuvés par le Grand Conseil et dotés de budgets pour leur réalisation, mais ces propositions du Conseiller d'Etat méritent qu'on s'y attarde, fût-ce pour en refuser plusieurs :
-le canton doit "participer à l'extension du Musée d'Art et d'histoire", créer un Musée de la bande dessinée, "structurer le domaine de la danse", en faisant bénéficier le Grand Théâtre ("par le biais du Ballet") et l'OSR de cet apport. Mais rien n'est dit d'un soutien cantonal au Pavillon de la Danse (alors que la subvention municipale à l'association qui va en assumer la charge n'augmente pas) -en revanche, le canton devrait créer une "Maison de la danse à Châtelaine" après le déplacement du Pavillon de la place Sturm, et assurer la "gouvernance" de la future Cité de la Musique. Et participer financièrement à la troupe de la Comédie (mais pas à l'exploitation de la Nouvelle Comédie)
- le canton doit valoriser la culture "dans les domaines sociaux, urbanistiques, d'intégration à chaque fois que l'occasion se présente", et développer le "principe de réaffectation et de création de lieux culturels dans les nouveaux quartiers". Il doit "déterminer" (et octroyer ?) "de nouveaux locaux en faveur de la culture émergente".
- le statut social des artistes doit être amélioré, les organes culturels subventionné doivent les rémunérer "convenablement", un "droit des artistes" doit être instauré sur les divertissements (une renaissance du bon vieux "droit des pauvres" ?) pour financer leur fonds de prévoyance, la formation et l'encouragement à la création, et une "attention particulière" doit être portée à l'égalité des genres.
- "le bâti existant, y compris les biens du patrimoine culturel et la création contemporaine, doit être compris comme une entité unique" produisant une "culture du bâti" se référant "non seulement à l'environnement bâti, mais aussi aux processus impliqués dans sa création". Ne reste plus qu'à en tirer les conséquences en termes de défense du patrimoine pour que la leçon du "Plaza" ait porté...

Il y a donc là quelques bonnes intentions qu'on ne se privera pas du plaisir de saluer, non sans ajouter qu'il faudra, pour qu'elles ne restent pas au stade des intentions, que le Grand Conseil les ratifie et les finance -autrement dit, il leur faudra une majorité politique. La gauche sans doute y sera favorable. A droite, c'est beaucoup moins évident. Mais il y a là, aussi, explicites ou non, quelques menaces auxquelles il va falloir se préparer à parer, à commencer par celle d'un canton prenant le pouvoir sur la culture sans en assumer la charge matérielle : le "je commande, tu paies" n'est pas un précepte acceptable, surtout dans un canton où le budget culturel d'une seule commune (la Ville) est quatre fois supérieur à celui du canton. Dont au surplus le projet de budget 2020 est grevé d'un déficit si lourd qu'on voit mal comment le Conseiller d'Etat, ou le Conseil d'Etat, pourrait faire accepter au parlement une augmentation des dépenses culturelles du canton.

Et puis, enfin, il y a ceci : on aimerait bien que le principe du "faire ensemble" s'impose à la prétention de décider tout seul. Certes, le Message culturel propose la création d'un "Dialogue culturel genevois (...) incluant le canton, les villes et les autres communes aux fins d'exercer le rôle de coordination dévolu au canton entre collectivités publiques", mais s'il ne s'agit que de mettre toutes les communes aux ordres du canton, et qui plus est en donnant à celles qui n'ont aucun engagement culturel le même poids qu'à celles qui en ont un, ce "dialogue culturel genevois" finirait rapidement par ne plus être qu'un "monologue politique cantonal" -d'autant que le Message du Conseiller d'Etat n'envisage une "concertation régulière" entre la Ville et le canton que "sous l'égide du canton"... on ne saurait mieux affirmer la prétention d'un canton qui ne paie ni ne paiera pas grand chose (34 millions actuellement, soit dix fois moins que la Ville, 52,5 millions si toutes les politiques culturelles cantonales envisagées se concrétisent)  à s'imposer à une Ville qui paie et continuera à payer pour tout le canton...

L'avant-projet de Message de politique culturel du Conseiller d'Etat proclame une volonté d'"agir avec et dans les communes", de clarifier les "relations canton-villes-communes en matière de politique culturelle en privilégiant les objectifs de proximité et de facilitation de l'accès à les découverte", de pousser "chaque commune genevoise" à élaborer un "concept culturel communal", de faire évoluer "à la hausse (le) financement culturel dans la péréquation financière intercommunale". C'est bel est bon, mais qui ne doute que pour atteindre le moindre de ses objectifs, le canton, dont l'engagement culturel est bien moindre que celui des communes (qu'elles soient considérées ensemble ou, pour les villes ou pour la première d'entre elles, séparément les unes des autres) n'a ni les moyens ni la légitimité de s'imposer à elles, mais bien plutôt l'obligation de "faire avec" elles. Avec elles, ni sans elles, ni contre elles, ni au-dessus d'elles.

"Il n'y a pas de vision partisane de la culture", conclut l'avant-projet de message de Thierry Apothéloz. Vraiment ? Faudrait-il se féliciter de cette absence, si elle se vérifiait, ou la déplorer ? Et même s'il n'y avait pas de vision "partisane" de la culture", il y aurait bien toujours une vision "partisane" de la politique culturelle. Et à gauche, il conviendrait que cette vision "partisane" cultivât plutôt le "faire ensemble" que le "faites ce que je dis". Plutôt l'horizontal que le vertical.

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