Choeurs de pleureuses sur la "classe moyenne"



Larmichettes de caïman

L'autre jour, au Conseil municipal,la droite en avait plein la bouche de la "classe moyenne", pour refuser la modeste augmentation des tarifs des crèches. L'autre jour, au Grand Conseil, la droite en avait plein le micro, de la "classe moyenne", pour refuser la modeste réduction des déductions fiscales possibles des primes d'assurance-maladie.L'autre jour, dans GHI, le Journaliste en avait plein la plume, de la "classe moyenne", pour chanter sa douleur. C'est que c'est bien pratique, la "classe moyenne", ça peut être invoqué à propos de tout et de n'importe quoi, puisque personne n'est capable de la définir de manière crédible, de telle sorte que l'hypothèse la plus vraisemblable est qu'elle n'existe pas. Ce qui permet de verser sur elle et son sort des torrents de larmes. Des torrents en crue en période électorale. Nous verserons donc nous aussi une larmichette sur la classe moyenne. Mais gardez-vous, crédules lecteurs, de prendre ce sanglot court comme le violon d'une compassion automnale : cette larmichette est de caïman.


La classe moyenne, ce totem qui n'est qu'un ectoplasme

Le Conseil d'Etat voulait réduire les déductions fiscales possibles de primes d'assurance-maladie en faisant passer leur plafond de deux fois le montant de la prime moyenne, comme actuellement, à une fois et demie. Insurrection de la droite du Grand Conseil : on s'en prend à la classe moyenne, protestent PLR, PDC, UDC et MCG. Le Conseiller d'Etat Mauro Poggia (MCG venu du PDC) a eu beau appeler ses anciens et actuels compagnons de parti "à oublier les slogans électoraux et à se montrer rationnels", rien n'y a fait : sa proposition a été balayée, Ensemble à Gauche rejoignant, ensemble, la droite.
Le Conseil administratif de la Ville a décidé d'augmenter les tarifs des crèches de la Ville -sans que cette augmentation ne péjore le revenu disponible des parents puisqu'ils pourront déduire des frais de crèpche quatre fois supérieurs à ceux qu'ils peuvent déduire actuellement. Insurrection de la droite du Conseil municipal : on étrangle la classe moyenne, sanglotent PLR, PDC, UDC et MCG. Pour qui des ménages dont le revenu disponible ascende à 250'000 francs annuels font partie de la classe moyenne.

Alors, on la définit comment, cette fameuse et improbable "classe moyenne" ? Par le revenu ? la formation ? l'insertion sociale ? le mode de vie ? Par le revenu et selon les normes de l'Office fédéral de la statistique,  la classe moyenne comprend "toutes les personnes vivant dans un ménage qui dispose d’un revenu brut équivalent compris entre 70% et 150% du revenu brut équivalent médian de l’année d’observation en question". En gros, donc, entre 5'000 et 10'000 francs par mois. Autant dire que la plupart de ceux qui se posent en défenseurs de la classe moyenne n'en sont pas, étant au-dessus (et souvent largement)... Par la formation ? Alors elle est ensemble des personnes qui ont terminé avec succès des études secondaires, sans aller au-delà. Et ça nous dit quoi, cela, de leurs conditions de vie ? Pas grand'chose. Par l'insertion sociale ? Alors la "classe moyenne", c'est tout le monde sauf les misérables et les potentats -mais quoi de commun entre une aide infirmière et un professeur d'Université ? Le mode de vie ? alors la "classe moyenne" ce sont toutes celles et tous ceux qui vivent selon les normes sociales encore dominantes -mais qui sont de moins en moins dominantes.

Peu importe après tout... plus on tente de définir la "classe moyenne", moins les discours politiques tenus sur elle ont de substance. Ils n'en ont d'ailleurs pas besoin : d'être tenus suffit à ceux qui les tiennent pour qu'ils se croient les défenseurs de ce qu'ils invoquent.

Entre la classe dominante et la classe dominée, une zone grise rassemble les couches sociales formées de salariés détenant un pouvoir délégué par la première sur la seconde : une capacité de gestion et d’encadrement qui les distingue des dominés sans pour autant en faire des dominants. Ces couches, moyennes ou intermédiaires ne jouent pas un rôle déterminant dans les décisions stratégiques, mais permettent de diluer le conflit de classe : elles jouent, en fait, le rôle que jouait la petite bourgeoisie dans le capitalisme d’avant les grandes révolutions technologiques du XXe siècle : elles sécurisent la domination sociale, qui au bout du compte repose sur elle. Peut-être est-ce là d'ailleurs la meilleure définition possible de la "classe moyenne" : à la fois soumise et intégrée, rêvant d'ascension et ne craignant rien tant que le déclassement. On conviendra qu'une telle définition ne ferait guère l'affaire des invocateurs rituels de la "classe moyenne". Qui ont bien raison de prendre garde à ne jamais la définir : on risquerait s'ils s'y risquaient de se rendre compte que leur totem n'est qu'un ectoplasme.


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