Pour Char

"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience"

Il vous reste quelques jours (jusqu'à dimanche prochain) pour visiter une exposition* à la Fondation Michalski (
http://www.fondation-janmichalski.com/), à Montricher (Vaud), consacrée à René Char et aux "sources et chemins" de sa poésie. L'exposition accompagne Char pendant 25 ans, après-guerre, à travers ses oeuvres, ses lieux de vie, ses amitiés avec des artistes. L'exposition ne propose pas de grandes oeuvres et contourne les engagements politiques de Char, à quelques allusions près, mais permet de déambuler dans le quotidien de la création poétique de Char dans les pays de Provence, et dans ses paysages intérieurs. Dans la collection "Quarto" de Gallimard, "Char dans l'atelier du poète" retrace aussi ce parcours qu'on s'autorisera à trouver exemplaire. Et on trouve sur les archives de la RTS le beau portrait que Michel Soutter en a fait à l'Isle-sur-Sorgue en 1966 : https://www.rts.ch/archives/tv/culture/champ-libre/3467369-rene-char.html

"René Char, Sources et chemins de la poésie, jusqu'au 29 septembre,
Fondation Michalski, Montricher (Vaud, sur la ligne du BAM)


"La liberté naît la nuit, n'importe où, dans un trou du mur, sur le passage des vents glacés"

Que dire en une page, fût-elle virtuelle, de l'un des plus grands poètes du XXe siécle pour inciter à le lire ? Que de ce siècle il dit le trouble et les drames, les révoltes et les espérances, de la même voix et avec la même force qu'il dit les rivières et les arbres. Qu'il fut un homme toujours debout, arpentant les chemins de son pays des mots en tête et, quand il le fallut, les armes à la main. Qu'il fut capable d'envoyer à la même géhenne ceux qui ne lui pardonnaient ni d'avoir été résistant quand eux se courbaient devant l'occupant nazi et ses supplétifs vichystes comme ceux qui lui reprochaient d'avoir été l'ami de Heidegger qui, lui, fut incapable de résister à l'adhésion au nazisme pour faire carrière... Il est vrai que la question de la liberté "se pose comme Ravachol posait ses bombes", et que celui qui la pose, comme Char, en actes autant qu'en mots, n'a de comptes à rendre à personne.

Né en 1907, Char rejoint les surréalistes en 1929 ("j'étais un révolté et je cherchais des frères"), fait le coup de poing avec eux contre les bourgeois et les fascistes. Puis il s'en éloigne en 1935, sans renier ses amitiés avec Eluard et une sorte de compagnonnage critique avec Breton -qui pourtant n'avait pas la réputation d'être particulièrement tolérant à la critique. Il s'y ajoutera d'autres amitiés, avec des artistes (Giacometti, Miro, Braque, Giacometti, De Staël), avec Albert Camus -et même avec Martin Heidegger... La route de Char sera plus solitaire, vers les hauteurs d'une poésie sans concession ni aux modes, ni aux injonctions politiques. Char est irrécupérable, incontrôlable, et d'autant plus politique : Il n'y a pas plus politique que son refus de la politicaillerie, pas plus engagé que son refus de l'embrigadement (par exemple au temps où Aragon s'applaventrit devant le stalinisme), pas plus révolutionnaire que ce refus du conformisme de gauche (celui du conformisme de droite allant de soi), même quand il se proclame révolutionnaire.

Lorsque la guerre survient, d'abord en Espagne puis en France, et la défaite, d'abord de la République et de la révolution en Espagne puis de la France, et l'occupation nazie, et la Résistance, Char n'hésite pas sur le choix de son camp et le choix des armes : "La liberté naît la nuit, n'importe où, dans un trou du mur, sur le passage des vents glacés". Démobilisé en 1940 après la défaite de la France et l'armistice, recherché par la police de Vichy pour ses supposées "sympathies communistes", Il entre en résistance en 1942, quand la Résistance n'est encore que l'acte de quelques fous. Il n'entre pas en résistance intellectuelle, ou rhétorique : il entre en résistance armée. Il lâche la plume pour le fusil. Il ne sera pas "Poète de la Résistance" comme Eluard ou Aragon : il sera Résistant. Tant qu'il le faudra. Pas au Flore, mais en Haute Provence. Puis, à la Libération, voyant parader les gaullistes du 7 juin et les communistes du 16 août, voyant les résistants de la dernière heure tondre les femmes avec qui ils n'avaient pu coucher, Char ne peut taire son dégoût : "ces arapèdes engrangent". Croix de guerre et médaillé de la Résistance, il reprendra la plume, chantera la terre, la rivière (la Sorgue), les hommes de son pays : "j'ai marché sur le miroir d'une rivière pleine d'anneaux de couleuvre et de danse de papillons. J'ai joué dans des vergers dont la robuste vieillesse donnait des fruits. Je me suis tapi dans des roseaux, sous la garde d'être forts comme des chênes et sensibles comme des roseaux" Il combattra pour les défendre, les unes et les autres, dans une autre résistance : contre le projet d'installer un site de lancement de missiles nucléaires sur le plateau d'Albion et celui de faire du plateau du Canjuers un terrain d'entraînement militaire pour la guerre contre-insurrectionnelle. Et quand l'Histoire se résorbe en la frénésie consumériste et en un modernisme vide de tout sens, il proclame que "sortir de l'Histoire se peut" puisque l'Histoire elle-même est sortie de toutes ses promesses.

René Char meurt en 1988 à Paris, à l'âge de 71 ans. Lisez-le. Ecoutez-le :  "Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront"





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