Quand "le populisme de gauche ne paie plus"


Reculs...

A la gauche de la gauche européenne, on s'est essayé au populisme, un peu à l'exemple de la gauche sud-américaine -il en vient, d'ailleurs, le populisme, de ce canton du paysage politique, la gauche : le populisme révolutionnaire a sa source en France, en 1789, et dans la Russie tsariste, avec les narodniki. Mais voilà : "Le populisme de gauche ne paie plus", résume le philosophe Manuel Cervera-Marzal, qui rappelle que la "gauche radicale" a perdu plus 20 % de ses sièges au parlement européen, que la "France Insoumise" a  réalisé aux Européennes son plus mauvais score depuis sa création, que Podemos a été affaiblie aux législatives espagnoles et que Syriza a perdu les législatives grecques (et le pouvoir)... Il est vrai qu'en même temps, la social-démocratie aussi recule dans l'Union Européenne : son groupe au parlement européen n'a jamais été aussi faible, le Labour de Jeremy Corbyn n'a réuni aux élections européennes que moins d'un tiers de son pourcentage électoral par rapport aux législatives de 2017 (14,1 % des suffrages contre 40 %) et le pS français est au plus bas.

Il n’est plus question de changer le monde, mais de faire participer tout le monde à un monde inchangé

Pour tenter de définir les nouveaux clivages qui se superposent au clivage gauche-droite, sans l'abolir mais en le traversant (en traversant la gauche comme la droite), l'essayiste Yves Citton néologise : il oppose les "transparentistes" aux "opacistes", les "ralentistes" aux "accélérationnistes", les "souverainistes" aux "dividualistes", les "pollinistes" aux "compétivistes", les "lyannajistes" aux "extractivistes"... mais ces "nouveaux" clivages le sont-ils réellement, ou ces nouveaux mots ne tentent-ils pas de définir ce qui traverse la gauche et la droite depuis qu'il y a une droite et une gauche ? Proudhon ou Marx ? Jaurès ou Guesde ? Chateaubriand ou De Maistre ?

Pendant une dizaine d'années, le "populisme de gauche", substituant paradoxalement le clivage "peuple/oligarchie" au clivage gauche/droite, avait donné l'impression de pouvoir, en s'appuyant sur des mobilisations sociales importantes, extirper la gauche de la mâchoire du piège dans lequel elle s'était elle-même placée, entre une social-démocratie convertie au social-libéralisme et une gauche "radicale" tribunitienne et impuissante. Mais le prix à payer pour le succès de ce "populisme de gauche" a été la dissolution de sa qualification "de gauche" -ne restait plus qu'un "populisme" récyclant de vieux thèmes de droite pour tenter de récupérer aussi cette part de l'électorat de gauche passé à l'extrême-droite. Podemos avait bien réussi à mettre fin au bipartisme espagnol, Mélenchon avait bien réussi à se retrouver en quatrième position de la présidentielle française (mais il visait la deuxième), Jeremy Corbyn avait bien réussi à prendre la direction du Labour et Alexis Tsipras celle du gouvernement grec -mais ces succès furent en trompe-l'oeil : la gauche populiste réussit à percer électoralement, mais est incapable de faire quoi que ce soit de durable de cette percée. Et elle dépend trop du charisme de ses leaders pour ne pas reculer quand ce charisme s'effrite, ou lasse. Et quand le mode de fonctionnement "basiste", apparemment fort respectueux de la démocratie directe, ne parvient plus à masquer les divergences de ligne politiques et les querelles de personnes.

Ainsi les "mouvements citoyens" doivent-ils en rebattre de leurs ambitions, et d'une tenace illusion. La disparition de la « grande usine » comme lieu exemplaire de l’organisation de la production, l’affaiblissement des organisations ouvrières construites sur les grandes concentrations ouvrières, et finalement la disparition de la conscience de classe et du projet historique d’installer une classe dominée (le prolétariat) au pouvoir, laissent donc place à la « cité » comme lieu d’action, au « citoyen » comme sujet social, au mouvement « citoyen » comme acteur social, à la « démocratie » comme projet historique, à l’Etat comme condition nécessaire du tout. Autant dire que l’émergence d’un « mouvement citoyen » est la réponse (approbative) à l’hypothèse, pourtant fondamentalement imbécile, de la « fin de l’histoire » (au double sens du mot fin : terme ultime, et finalité ontologique). L’émergence du mouvement citoyen et la référence à un « peuple » indistinct sont la manifestation du deuil de la révolution sociale : il n’est plus question de changer le monde, mais de faire participer tout le monde à un monde inchangé. Le mouvement citoyen est l’idéologie d’une société qui se donne elle-même comme le terme de l’histoire sociale, et le « peuple » le recours désespéré des orphelins du prolétariat.

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