Combattre les racismes tels qu'ils se manifestent


Negrophobie

Hier soir, le Conseil municipal de Genève a accepté une proposition d'accorder un modeste crédit de soutien à la lutte contre le racisme "anti-noir" (on parlera de "negrophobie"...). Cette proposition a été imposée par la gauche et le PDC au PLR, au MCG et à l'UDC, qui n'en voulaient pas, arguant que l'antiracisme doit être global, général, indistinct, et qu'il ne convient pas de lutter contre tel ou tel racisme. Il ne conviendra donc pas de lutter contre la negrophobie. Pas plus que contre l'antisémitisme (au sens de la bonne vielle judéophobie) ? La Ville subventionne pourtant déjà des associations et des actions de lutte contre tel ou tel racisme spécifique. Comme, s'agissant de l'antisémitisme, la CICAD (qui a pourtant tendance à confondre antisémitisme et antisionisme). Y'a-t-il des racismes moins condamnables que d'autres ? Le racisme "anti-noir" est-il un fantasme ? La réalité, largement documentée, le dément. Et puisqu'il existe, l'antiracisme exige de le combattre. Comme tous les autres.


La négation du racisme porte un nom : le négationnisme

Pourquoi combattre spécifiquement (sans exclusive d'autres combats contre d'autres racismes) la negrophobie, le racisme "anti-noir" ? Parce qu'il existe.  Parce qu'il y a un travail spécifique à faire contre LES racismes (et non pas  seulement LE racisme) tels qu'ils se manifestent. Parce que nous ne voulons pas nous contenter de dire que le racisme, c'est pas bien, c'est pas beau, c'est pas intelligent. Nous voulons le combattre là où il se manifeste. Et il se manifeste concrètement, précisément à l'encontre de groupes  spécifiques...
Il faut bien traduire en actes sur le terrain les belles paroles des textes fondateurs. Sinon ces textes ne valent que ce que vaut le vent qui emporte leurs mots. Les textes internationaux sur les droits humains proclament l'égalité des droits entre femmes et hommes ? L'Arabie Saoudite s'en fout tant que personne ne se mêle de concrétiser cette égalité chez elle...  Les textes internationaux proclament le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Erdogan s'en fout, tant que les Kurdes ne s'autorisent pas à le concrétiser aux frontières de la Turquie, ou pire : en Turquie même... La Constitution fédérale suisse dit de très justes choses sur les droits fondamentaux -mais ces très justes choses ne valent rien de plus que la bonne conscience qu'elles caressent dans le sens du vent si on ne fait pas l'effort de les concrétiser sur le terrain. "ça ne sert à rien d'avoir un pacte à la tonalité morale très puissante mais à l'impact limité", reconnaissait la représentante spéciale de l'ONU pour les migrations, Louise Arbour.

Lutter contre chaque racisme, là où il se manifeste, quand il se manifeste, comme il se manifeste : le Service de lutte contre le racisme de la Confédération ne dit pas autre chose : "Le racisme peut se manifester sous différentes formes; le fait de les définir une par une permet de mieux en identifier les causes et les manifestations et d’appliquer les mesures de prévention à meilleur escient". (Rapport sur les discriminations raciales en Suisse 2018:
https://www.edi.admin.ch/.../rapports-et.../rapport.html
).

Ici, on parle du racisme anti-"noirs". On en parle parce qu'il existe -et ce n'est pas parce que nous en parlons que nous constituons une "race noire" (avec tous les guillemets qui s'imposent). Il n'y a pas plus de race "noire" qu'il n'y a de race "blanche". Les "noirs", dans une situation de racisme, sont ceux qui sont définis comme tels par ceux qui se définissent eux-mêmes comme "blancs" (ou en tout cas comme "pas noirs"), comme la définition du "juif" dans les politiques antisémites est le fait des antisémites, pas des juifs... On parle ici de la définition des "races" par les racistes : les juifs se définissent eux-mêmes, comme les chrétiens, par une adhésion religieuse, mais sont définis comme une race par les antisémites, comme "les nègres" par les racistes "blancs" (quitte à ce que des "nègres" comme Césaire ou Senghor en fassent une revendication).  Pour le reste, il n'y a évidemment pas plus de "blancs" que de "noirs" ou qu'il y a de races humaines différentes depuis la disparition de Tonton Neanderthal . Ou alors, il nous faudrait admettre que la moitié de la population "blanche" de nos contrées devient "noire" entre la fin juin et le début septembre, entre le petit-déjeuner et le retour de la plage, entre la sortie du bureau et le retour du solarium.

Si une commune sert à quelque chose de plus qu'appliquer et payer les décisions de l'Etat, c'est bien à concrétiser là où elles doivent l'être les belles proclamations de principe des beaux textes nationaux ou internationaux. La commune ne fait pas les lois, ni les constitutions, ni les pactes internationaux. Mais ne les faisant pas, elle peut les rendre réels, les concrétiser sur le terrain, dans la "vraie vie" des "vrais gens".

On peut toujours essayer de nier que les femmes et les hommes que les racistes définissent comme "noirs" sont victimes de racisme. On peut toujours nier les évidences. Mais il faut alors assumer cette négation pour ce qu'elle est. Car ici, aujourd'hui, dire qu'il n'y a pas de racisme anti-noir, c'est comme dire qu'il n'y a pas de racisme anti-rroms ou que l'antisémitisme a disparu.

La négation du racisme porte un nom : le négationnisme.

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