Déficit du Grand Théâtre de Genève : La Ville paiera. Forcément.


Déficit du Grand Théâtre de Genève : La Ville paiera. Forcément.

Le Conseil de fondation du Grand Théâtre de Genève a adressé à la Ville de Genève une demande de subvention extraordinaire visant à combler le déficit attesté (1,9 million) de la saison 2018/2019, auquel s'ajoutera le déficit annoncé (1,3 million) de la saison actuelle. La requête, de 3,2 millions de francs, a été avalisée par le Conseil administratif et sera soumise au Conseil municipal dans dix jours. 3,2 millions de francs supplémentaire à la charge de la Ville qui dépense chaque année 45 millions pour son opéra (l'Association des communes genevoise y ajoute 2,5 millions -dont entre le quart et le tiers proviennent de la Ville...), cela paraît beaucoup. Et en effet, c'est beaucoup. Mais cela correspond à un déficit structurel qui date de plusieurs décennies, qui fut un temps épongé par un mécène, et aurait du l'être ensuite par une subvention cantonale, mais qui retombe sur la Ville après que le Grand Conseil ait refusé de la renouveler (ce que lui proposait le Conseil d'Etat : la responsabilité de cette dérobade n'incombe pas au gouvernement, mais à la majorité parlementaire, PLR en tête). A quoi s'ajoutent, pour plomber les comptes et le budget, les conséquences (dont des pertes de billetterie) du retard pris par le chantier du bâtiment historique de la Place Neuve.


Prise d'otage et syndrome de Stockholm

Dans une déclaration commune avec le Conseil administratif sur la mise en oeuvre de la loi sur la culture, en octobre 2013, le Conseil d'Etat s'engageait à verser au Grand Théâtre, sous réserve de l'accord du Grand Conseil, une subvention d'un million en 2015, deux millions en 2016 et trois millions en 2017. Une convention de subventionnement était ensuite signée pour les 2015 et 2016, réduisant la subvention pour 2015 à 500'000 francs et maintenant celle pour 2016 à deux millions. Une nouvelle convention de subventionnement était signée en avril 2017 entre le canton, la Ville et la Fondation, pour une subvention cantonale de trois millions inscrite au budget cantonal 2017. Mais en décembre 2017, le Grand Conseil décidait de ne pas renouveler la subvention de 3 millions que le canton avait accordée l'année précédente. Du coup, le Grand Théâtre s'est retrouvé face à un manque de ressources de un million et demi (un autre million et demi lui ayant été accordé par un mécène). Et finalement, les comptes de la saison 2017-2018 se soldent par un déficit, d'autant que le report de la réinstallation du GTG à la place de Neuve n'a pas arrangé les choses financières. En août 2018, le Conseil administratif proposait au Conseil municipal une subvention extraordinaire de 3,460 millions pour le Grand Théâtre, plus un investissement de 2,295 millions pour la rénovation des équipements de Neuve. Le Conseil municipal acceptait ces deux crédits.

"Il n'est pas envisageable de diriger une maison qui a des ambitions artistiques et une envie de s'ouvrir à la cité avec un déficit structurel pour chaque saison", résume le directeur général du GTG, Aviel Kahn. Et de souhaiter que "sur le front politique, la question des subventions fasse l'objet de discussions et et de réponses durables". Encore faut-il qu'il y ait des partenaires disposés non seulement à discuter (on n'en manque jamais, à Genève), mais surtout à faire aboutir ces discussions à quelque chose. Autrement dit, à ne pas se contenter de se renvoyer la balle de la responsabilité de combler le déficit structurel de la principale institution culturelle romande. Or quelques signes semblent suggérer qu'on pourrait avancer vers la "réponse durable" que souhaite le directeur général : dans le Message de politique culturelle du Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz , on lit que le canton veut "structurer le domaine de la danse", en faisant bénéficier le Grand Théâtre ("par le biais du Ballet") et l'OSR de cet apport (l'OSR, dont le financement est actuellement partagé entre la Ville et le canton, serait cantonalisé).

Le déficit structurel de l'institution correspond grosso modo au coût du Ballet (autour de 3 millions). Si le canton prenait en charge le coût du Ballet, comme le suggère le Conseiller d'Etat chargé de la culture (et de quelques autres champs politiques) Thierry Apothéloz, le déficit structurel serait comblé et, pour autant que la subvention au Ballet soit assurée, le Ballet ne serait plus menacé d'être pris en otage à chaque crise financière du GTG. Et le canton pourrait entrer dans la "gouvernance" du Grand Théâtre, comme il était d'ailleurs prévu qu'il le fasse, avant qu'il accorde en septembre 2016 une subvention de 2,5 millions, puis en septembre 2017 une subvention de 3 millions. Deux délégués du canton siégeaient alors au Conseil de fondation. Mais le Grand Conseil ayant refusé de la reconduire pour 2018, ils s'en sont retirés en novembre 2017, et depuis lors le canton n'y est plus représenté... En attendant qu'il se donne lui-même la légitimité de l'être à nouveau en acceptant, d'une manière ou d'une autre, de contribuer de manière permanente au financement de l'opéra, c'est donc à la Ville que la Fondation du GTG s'adresse pour boucher le trou de ses comptes et de son budget. Comme d'habitude. Et comme d'habitude, la Ville le fera : le Conseil municipal votera, sans doute en rechignant, certainement après moult dénonciations de l'impéritie cantonale (cela tient du rituel), la subvention extraordinaire demandée. Parce que le Grand Théâtre, c'est certes 45 millions sortis chaque année des caisses de la Ville (sans compter les investissements, l'entretien du bâtiment, les équipements scéniques...) mais surtout 300 emplois, un ballet, un choeur, et 80'000 à 100'000 spectateurs chaque année. Et qu'on ne peut pas attendre la bonne volonté de la majorité du Grand Conseil pour maintenir à flot un élément aussi important du dispositif culturel régional.
Bref, la Ville est sans doute prise en otage. Mais le syndrome de Stockholm aidant, elle s'y résignera. Pour combien de temps encore ?


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