Intervention turque contre les Kurdes de Syrie : Un nettoyage ethnique


C'est le cadeau que Trump a fait à Erdogan : un feu vert pour attaquer les Kurdes du Rojava, "compagnons d'armes" des Américains et chair à canon de l'"Occident" dans la lutte contre Daech, mais abandonnés par les Américains et laissés à la merci de la Turquie. Une trahison en mauvaise et indue forme. Impure et simple. Qui va permettre à Erdogan de réaliser son projet d'épuration ethnique dans le Kurdistan syrien : l'expulsion, sous la contrainte ou la menace, de la population civile kurde (plus de 100'000 personnes ont déjà pris la fuite), puis son remplacement par des réfugiés syriens arabes. Qui l'en empêcherait ? La Russie ? Elle se frotte les mains du départ des Américains; L'OTAN ?P La Turquie en est membre, et va diriger ewn 2021 sa "force de réaction rapide";  L'Europe (où la Hongrie d'Orban soutient la Turquie) ? Elle condamne l'intervention turque, Macron fait convoquer le Conseil de Sécurité de l'ONU, son ministre des Affaires étrangères, Le Drian, dénonce une "opération unilatérale", et ensuite ? Sans doute rien qui puisse faire reculer Erdogan (à moins que le Sénat américain se décide à voter des sanctions contre la Turquie et ses dirigeants), dont tout le monde sait qu'il méditait son opération depuis des années. La Turquie s'est en effet constituée un colossal matelas de sécurité qui la protège de toute sanction européenne : les millions de réfugiés syriens qu'elle stocke sur son sol, ce pourquoi l'Europe la paie grassement pour éviter que ces métèques ne souillent le sol sacré de notre semi-continent chrétien. Auxquels il faut sans doute ajouter les dizaines de déplacés des autres régions de Syrie, réfugiés dans le nord-est sous la protection des Kurdes. Et tout cela permet à Erdogan de se livrer à ce chantage : si vous m'empêchez de nettoyer le Rojava de ses Kurdes, je vous envoie "mes" réfugiés syriens et ceux des camps contrôlés par les Kurdes (rien que celui d'Al Hol abrite plus de 70'000 "déplacés"). Remplacer la population locale par des "déplacés", vieille pratique ottomane : les chrétiens syriaques et arméniens en avaient déjà fait les frais, il y a un siècle. Et aujourd'hui, tout le monde, Russes et Syriens d'Assad compris, va laisser Erdogan massacrer ces gêneurs de Kurdes.


Quel Orwell rendra "hommage au Kurdistan" ?

Cela fait presque deux ans qu'elle s'y préparait, qu'Erdogan trépignait dans l'attente du feu vert de Trump. Feu vert donné, l'armée turque, purgée après le putsch manqué de 2016 (des dizaines de généraux limogés, des centaines d'officiers demandant l'asile à l'étranger), est entrée en Syrie accompagnée de ses supplétifs arabes, pour la troisième fois. Non pour combattre Daech, mais pour combattre les Kurdes. Les Kurdes Syriens des YPG comme les Kurdes de Turquie du PKK, contre qui l'Etat turc mène depuis vingt ans une guerre impossible à gagner, et qui a déjà fait 45'000 morts. Essentiellement des civils. Le Groupe pour une Suisse sans armée demande à la Suisse de placer les livraisons d'armes à la Turquie sous embargo immédiat, de déployer toutes les ressources pour une offensive diplomatique afin de régler le conflit de manière pacifique, d'inviter la Communauté européenne à adopter conjointement des sanctions significatives à l’encontre de la Turquie, d’utiliser le statut de l’ONU pour entreprendre des négociations de paix immédiates, et enfin d’organiser une conférence de paix à Genève.

C'est donc aux Kurdes syriens que s'en prend la Turquie. Avec l'autorisation des Etats-Unis, dont le président s donné comme excuse à sa lâcheté cet argument frappé au coin du non-sense : on ne voit pas pourquoi on aiderait les Kurdes, "ils ne nous a pas aidés pendant la deuxième guerre mondiale", ils ne se battent que pour eux. Qu'ils se soient aussi battus pour les chrétiens et les yézidis importe peu à l'analphabète présidentiel. Qui assure "aimer les Kurdes". Presque autant qu'Erdogan les aime. Le genre d'amis qui permettent aisément de se passer d'ennemis. Quand Erdogan proclame que Daech a été vaincu, il ment : Daech est toujours là, même s'il a perdu ses villes. En attendant de les reprendre ? vendredi, un attentat à la bombe a fait au moins trois morts à Kamechliyé...). Erdogan avait d'ailleurs toléré le passage par la Turquie et le recrutement en Turquie des djihadistes de Daech. La Turquie attaquant le Rojava, les combattants kurdes ne pourront plus combattre Daech, mais devront combattre les Turcs. Ceux qui n'auront pu arrêter Erdogan en Syrie auront le cadeau qu'ils méritent : La résurrection de Daech en Syrie et le retour sur leur sol des djihadistes que les Kurdes détiennent encore : ils en détenaient 12'000, dont 2000 "étrangers" (non-syriens) avant l'agression turque. Immorale de l'histoire...

L'objectif de l'opération turque est une épuration ethnique : Pousser les Kurdes à quitter le nord de la Syrie, et les remplacer par des arabes. Et mettre fin à l'expérience politique menée au Rojava kurde, en y construisant des dizaines de villages et de petites villes où installer une population aux ordres, et surveillée de près. Ce que les Français avaient tenté en Indochine et en Algérie. Avec le succès que l'on sait. Cela coûterait à la Turquie des dizaines de milliards d'euros ou de dollars ou de francs suisses ? Peu semble importer au Sultan : le nettoyage ethnique est sans prix. Et, cerise sur la gâteau, lui permet de faire taire l'opposition dans son propre pays : à l'exception du Parti démocratique des peuples (HDP), dominant au Kurdistan, tous les partis turcs se sont rangés derrière Erdogan.

Après en avoir chassé les djihadistes de l'"Etat islamique", les Kurdes de Syrie ont construit une sorte d'indépendance sans Etat, de "démocratie modèle" tournant le dos à tous les Etats de la région. Dans la "capitale" de cette vaste Commune, Qamishlo, des institutions politiques ont été crées, des partis politiques ont droit de cité, la société fonctionne -malgré la menace de l'armée turque et de l'armée du régimne syrien, et se veut un laboratoire démocratique pour tout le Moyen-Orient -à commencer par le Kurdistan éclaté entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie. Qamishlo était, sous le mandat français, une ville chrétienne, peuplée de chrétiens fuyant l'empire ottoman. Elle abrite toujours une population chrétienne et un quartier chrétien, mais les Kurdes y sont devenus majoritaires, et les réfugiés syriens fuyant les uns le régime de Bachar, les autres les djihadistes, y ont afflué. Pour autant, un "air de liberté" y souffle : les femmes sortent sans voile, on vend de l'alcool dans le quartier chrétien, et on y fait la fête, toutes confessions mélangées. Qui "gouverne" ? une "auto-administration locale" mise en place par le parti kurde PYD (Union démocratique kurde), allié au PKK kurde de Turquie. Son responsable des relations extérieures expliquait : nous voulons bâtir une démocratie exemplaire qui garantira les droits de tous les groupes ethniques, sociaux et religieux. Qui sera décentralisée, ne sera pas nationaliste et donnera un rôle essentiel aux femmes". Et qui dépassera les "concepts éculés" d'Etat-nation, d'autonomie ou de fédéralisme. Mais qui dispose de sa milice : les YPG (unités de protection du peuple), le bras armé du PYD, qui ont libéré les territoires kurdes que les djihadistes occupaient. Le Rojava, toutefois, est encerclé par l'armée de Bachar et l'armée turque. Et la menace est d'abord turque : Erdogan ne peut tolérer une expérience politique kurde aussi radicale aux frontières du Kurdistan turc. Pas plus que les staliniens et les fascistes ne pouvaient en tolérer une en Catalogne.
Le Rojava, aujourd'hui, c'est la Catalogne libertaire d'il y a 80 ans. Quel Orwell lui rendra hommage ?


Commentaires

Articles les plus consultés