Quand la Justice espagnole souffle sur les braises catalanes


Segur que tomba...

22 dirigeants ou élus catalans étaient poursuivis par le Tribunal Suprême espagnol pour leur participation au combat indépendantiste. Cinq se sont exilés (dont Carles Puigdemont), les autres sont en prison ou en liberté provisoire. 12 (dont l'ancienne présidente du parlement catalan, des anciens ministres du gouvernement régional,  des leaders associatifs) étaient jugés à Madrid lors d'un procès-fleuve, qui a commencé à la mi-février et s'est terminé le 12 juin, avec un jugement rendu le 14 octobre. Neuf responsables indépendantistes catalans ont été condamnés à des peines de 9 à 13 ans de prison pour "sédition et détournement de fonds publics" -en réalité, pour avoir organisé un référendum d'autodétermination de la Catalogne, en octobre 2017. Le Parquet demandait plus encore : 25 ans de prison contre l'ancien vice-président catalan Orio Junqueras (qui en a pris 13), soit plus que s'il avait commis un meurtre, mais les verdicts sont d'une sévérité aux effets dévastateurs. Outre de susciter la colère catalane, ils internationalisent encore un peu plus le conflit entre la Catalogne et le pouvoir central, puisque les indépendantistes vont porter le jugement espagnol devant les tribunaux internationaux.


"La vengeance de l'Etat espagnol contre le peuple catalan"

"Le plus grand procès de la démocratie espagnole s'est terminé comme il avait commencé : sous le signe de l'intransigeance et de la radicalité des parties opposées", écrivait en juin le correspondant du "Temps". "Est-ce que l'Etat espagnol a prévu d'emprisonner 2 millions de Catalans ?" s'étant prononcés pour l'Indépendance lors du référendum saboté par Madrid, s'interrogeait à Genève, en avril dernier, le président du parlement catalan, Roger Torrent... Le Tribunal lui-même a reconnu que l'ordre constitutionnel n'avait pas été menacé par le référendum catalan. Ce référendum était illégal, anticonstitutionnel au sens de la loi et de la constitution espagnoles ? Evidemment, puisqu'il visait à une modification de la constitution et de la loi qui ne prévoient aucun mécanisme d'autodétermination -mais il ne s'agissait ni d'une révolution, ni d'un putsch, ni d'une insurrection armée.

Aujourd'hui, l'organisation "Tsunami démocratique",  est à l'oeuvre pour maintenir la mobilisation -mais on est encore loin de la lutte armée et de ETA : le séparatisme catalan est fondamentalement pacifique, et souvent festif. Et ce qui fait peser la menace qu'il cesse de l'être, c'est bien sa répression par l'Etat espagnol.  Les manifestations monstres dans les villes catalanes, les chaînes humaines entre elles,  la grève générale montrent bien que le verdict de la Cour suprême espagnole a d'abord soudé le camp indépendantiste. Et fragilisé le gouvernement central du socialiste Pedro Sanchez, pour le plus grand profit d'une droite "espagnoliste" lui reprochant déjà de ne pas être assez ferme (entendez : féroce...) avec les indépendantistes catalans. Le gouvernement central espagnol est piégé par une autre contradiction, entre la défense de la constitution et des lois telles qu'elles sont, et la volonté de Pedro Sanchez et des siens de "décrisper", de désarmer le conflit avec l'indépendantisme catalan -une volonté qui semble rencontrer celle d'une grande partie des Espagnols, et même des Catalans : le PS catalan est passé de 16 à 23 % d'une législative à l'autre.

En mars 2018, l'ex-président catalan (indépendantiste de droite) Carles Puidgemont, en exil à Bruxelles et venu à Genève pour participer au FIFDH, avait dit, s'adressant au gouvernement espagnol d'alors (celui de Rajoy) : "il faut reconnaître l'autre comme un sujet politique avec qui il faut dialoguer sans ligne rouge". L'"autre" avec qui Madrid devait dialoguer, c'était la Catalogne. Et la "ligne rouge", sa revendication d'indépendance. Certes, la constitution espagnole ne permet pas l'organisation de référendums d'autodétermination dans les "autonomies" (catalane, basque, galicienne, principalement). Mais une constitution se modifie. Et le droit à l'autodétermination nationale est un droit international fondamental : on ne voit pas pourquoi il aurait été reconnu au Kosovo, l'est à l'Ecosse, mais serait nié à la Catalogne.
L'autodétermination ne suppose pas forcément l'indépendance (si elle en suppose la possibilité) : elle peut aboutir à un Etat fédéral, à une autonomie accrue, voire même au statu quo, l'important étant que le peuple puisse se prononcer sur son possible devenir en tant que nation, et le possible devenir de cette nation. Selon les sondages, 80 % des Catalans sont favorables à un référendum d'autodétermination, et 40 % à l'indépendance -autrement dit, même les anti-indépendantistes sont favorables, en Catalogne, à un référendum d'autodétermination. Pour pouvoir y dire "non" à l'indépendance. Mais pour pouvoir voter "non", il faut bien pouvoir voter... On comprendra donc que vu de Suisse, où l'on référende tous les trois mois, vouloir embastiller pendant des années des hommes et des femmes coupables d'avoir organisé un référendum relève d'une conception de la démocratie où l'héritage du franquisme transparaît plus que l'empreinte du socialiste qui dirige le gouvernement...

Les partis nationaux de gauche, le PSOE et le PCE, avaient, pour assurer la transition vers la démocratie, abandonné le principe de l'autodétermination catalane et basque et accepté la proclamation par la constitution du principe de "l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols" -Basques, Catalans, Galiciens compris. Mais dans le même temps, la constitution consacrait aussi les autonomies régionales basque, catalane et galicienne, en les noyant cependant dans un système d'autonomies ne faisant aucune différence entre ces trois nations spécifiques et des régions moins singulières.

Pour l'actuel chef de l'exécutif catalan, Quim Torra, il ne s'est agi avec le jugement draconien des chefs indépendantistes (100 ans d'emprisonnement à eux tous) que de la "vengeance de l'Etat espagnol contre le peuple catalan" -du moins de la part indocile de ce peuple. L'Espagne a négocié avec ETA, qui usait des armes pour l'indépendance du Pays Basque, mais refuse de négocier avec les indépendantistes catalans, qui se battent avec des bulletins de vote ? Plus encore que dangereux, c'est absurde. Et profondément stupide.



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