Quand le MCG célèbre les 30 ans de l'Usine



Au prétexte du deal

Hier soir, en séance du Conseil Municipal, on a terminé comme elle le méritait, en la poubellisant, l'examen d'une motion lancée par le MCG contre l'Usine, au prétexte de la présence de dealers aux abords du centre culturel alternatif. Ce n'est ni la première, ni sans doute la dernière fois que le MCG s'attaque à l'Usine, à laquelle il porte une exécration qui confine à l'obsession. On est dans le répétitif, le rite, le trouble obsessionnel compulsif. Tout fait fagot pour le bûcher que le MCG aimerait réserver à l'Usine : une banderole sur le bâtiment, une manifestation des milieux culturels qui s'en prend au Grand Théâtre, un conflit administratif sur la vente de boissons... Là, c'est le deal. Il y a des dealers autour de l'Usine, place des Volontaires et le MCG demande d'en punir l'Usine en gelant les subventions que la Ville lui accorde. Il y a  des dealers autour du cimetière des Rois. On fait quoi ? on ferme le cimetière et on en exhume Calvin, Ansermet, Borges et Favon ? Il y a aussi des dealers dans la vieille ville, et pas loin du Temple de Saint-Pierre. On envoie les stups perquisitionner les locaux de la paroisse ? On a croisé un dealer près du Victoria Hal, on gèle les subventions à l'OSR ?


Trente ans et toutes ses dents

Le MCG s'attaque donc à l'Usine au prétexte du deal à ses abords. Comme si l'origine du deal était dans ce voisinage. Comme s'il n'y avait pas de deal ailleurs. Comme si chasser les dealers d'un lieu aboutissait à autre chose que les déplacer vers un autre lieu. Le deal naît de la prohibition. La prohibition de l'alcool a fait naître le deal de l'alcool. Prohiberait-on les hamburgers qu'on aurait du deal de hamburgers. Mais peu importe au MCG : il ne s'attaque pas au deal, il s'attaque à l'Usine.

L'Usine offre une programmation sans équivalent à Genève, entre la "culture de masse" et la "culture élitaire". Ainsi comble-t-elle le fossé entre des groupes sociaux culturellement privilégiés, ayant accès à toutes les formes d'expression et de création culturelle, et des groupes sociaux n'ayant accès qu'aux formes culturelles diffusées par les media de masse. Un clivage à la fois social et générationnel, que des lieux comme l'Usine contribuent à résorber.

Ce lieu n'est pas, en tout cas pas seulement, un lieu de spectacles, c'est d'abord un lieu de création, d'expérimentation et d'apprentissage, le plus "interdisciplinaire" de Genève (mais dont la réputation dépasse de loin les étriquées frontières de la République), le moins spécialisé, le moins hiérarchisé, le plus démocratique, aussi, par son fonctionnement et son mode de décision -celui-là même qu'il serait temps de reconnaître comme légitime, même (ou plutôt surtout) s'il est celui d'un espace de liberté. Forcément subversif, donc. Comme la culture elle-même -comme toute culture, même réputée "de droite". Le combat que mène l'Usine, et que ceux qui la soutiennent mènent pour l'Usine, n'est pas un combat seulement pour elle-même : c'est un combat pour la place de la culture, dans une ville qui s'est historiquement constituée en République par une révolution culturelle...

Sans doute devrait-on alors remercier le MCG de s'en prendre, une fois de plus, à l'Usine : s'inscrivant dans la longue histoire de l'exécration en laquelle la droite de la droite genevoise la tient, et manifestant la pérennité de cette exécration, sa dernière proposition lui rend, évidemment involontairement hommage, pour le 30ème anniversaire de cette paradoxale "institution alternative". A 30 ans et toutes ses dents, l'Usine continue de troubler Genève. Elle a été créée pour cela, elle remplit son rôle.

"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience", écrit René Char. Merci, donc, au MCG, de nous donner l'occasion de rendre hommage à un lieu qui continue de mériter tous nos égards et toute notre patience...

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