Aménagement, urbanisme, logement, développement : Les deux Genève




Deux Genève se sont confrontées dimanche dans les urnes : celle pour qui le "développement", mesuré quantitativement, est la priorité des priorités, et celle pour qui il n'est soutenable qu'à des conditions qualitatives. On a finalement refusé, à six voix près, de déclasser un espace vert (12,8 hectares de terres agricoles) pour permettre à un promoteur privé d'y construire des bureaux, et, refusé, à un peu plus de 130 voix près, d'aménager un quartier de la Ville pour construire des logements... Exemplairement, le projet d'aménagement du Petit-Saconnex a été refusé dans un vote cantonal alors qu'il avait été bien plus largement accepté dans un vote communal. Arithmétiquement, dans des votes aussi serrés, quelques dizaines de propriétaires de villas à Anières ou Vandoeuvres peuvent ainsi imposer leurs intérêts à l'intérêt collectif : il y aurait là quelque chose qui ressemble à un vote censitaire -comme d'ailleurs pour le projet du Pré-du-Camp, au Grand-Saconnex, qui a failli être imposé à la commune (qui l'a refusé à deux votants contre un), à la Ville et aux villes par les communes résidentielles de la rive gauche friquée, et n'a finalement été refusé qu'à neuf voix près. Neuf voix qui pèsent lourd. Et qui, au passage, constatent l'utilité de faire usage de son droit de vote...

La croissance n'est pas le développement

Les Genevois ne seraient-ils favorables au développement de Genève que s'il se fait en France ? Le refus en votation, dimanche, du projet de déclassement du quartier des Crêts, au Petit-Saconnex, semble le suggérer. Pourtant, "construire la ville en ville", seul moyen pour ne pas étendre l'urbanisation à tout le canton : on défend bien mieux les arbres et la biodiversité en construisant là où on a déjà construit, y compris en zone villas, qu'en réduisant, bétonnant et imperméabilisant les espaces encore laissés "verts"...

Ecologiquement, environnementalement, la densification est à la fois légitime et logique. Elle l'est aussi socialement. Mais elle fait peur -moins d'ailleurs à ceux qui, comme l'auteur de ces lignes, la vivent au quotidien et ne s'en plaignent pas -au contraire- qu'à ceux qui la perçoivent comme, forcément, un facteur de dégradation de leur environnement et de leur qualité de vie. On ne peut dès lors que partager le fort sagace constat du Conseiller d'Etat Dal Busco, dimanche soir: la population est "très sensible aux questions de déclassement et de qualité de la densification du territoire". Pour autant, elle est tout aussi "sensible" à son propre droit au logement. Car créer du logement est nécessaire, dans un canton où les demandeurs de logement qui n'arrivent pas à en trouver à leurs moyens et à leurs besoins se comptent en dizaines de milliers. Mais l'argument du logement ne suffit plus à convaincre : certes, l'initiative de l'Asloca rendant obligatoires, en période de pénurie de logements, les futurs déclassements en zone de développement et non plus en zone ordinaire, a été acceptée grâce au vote de la Ville et des villes, mais si la demande de logements, et de logements à des loyers abordables, persiste, elle s'affine : des logements, oui, mais des logements de qualité dans un environnement de qualité.

C'est bien d'un choix de société dont il s'agit, et qu'à leur modeste niveau d'importance, les votes genevois de dimanche (y compris celui favorable à l'initiative pour un "pilotage démocratique de l'aéroport") témoignent : La croissance n'est pas le développement -elle mesure l'enrichissement, il mesure la qualité de vie. La décroissance, comme le résume Paul Ariès, est un "appel au retour des partageux" : elle doit "forcément être équitable et sélective, afin de donner plus à ceux qui ont eu le moins". En cela, elle s'inscrit parfaitement, et fidèlement, dans un programme socialiste (quoique pas forcément, et même assez exceptionnellement, dans ceux des partis socialistes), dès lors qu'elle doit s'accompagner d'un surcroît de démocratie et de justice sociale.

S'agissant d'urbanisme et d'aménagement, la question de la justice sociale est en effet centrale : on peut demander aux riches de l'être moins, de consommer moins, de travailler moins et de voyager autrement -on ne peut rien demander de semblable aux plus pauvres. Or ceux-ci sont bien plus nombreux que ceux-là, et si les uns habitent des manoirs ou des logements de luxe, ou des zones villas bouffeuses d'espace, ce n'est pas en exigeant des mal-logés et des sans-domicile fixe d'accepter de le rester qu'on rendra un projet de décroissance légitime : c'est en les logeant correctement.

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