Comment va le monde ? Comme d'hab'



Etat des choses

Vous voulez vous casser le moral politique ? Voyez les titres du "Monde Diplomatique" de ce mois : "la gauche en quête d'un supplément d'âme", "En Bolivie, un coup d'Etat trop facile", "le casse-tête nord-irlandais", "lutte contre le terrorisme, une aubaine", "le réveil du volcan algérien", "nettoyage ethnique en Papouasie", "changement de régime clés en main", "Chili, l'oasis asséchée"... Comment va le monde ? il va comme il va depuis toujours. Les calendriers de l'avent sont aussi ceux de l'après. Il vient quand, le temps de changer le monde, faute de pouvoir changer de monde ?


Un temps où « le vieux meurt et le neuf hésite à naître »...


« Tous les rapports sociaux traditionnels et figés avec leur cortège de notions et d’idées antiques et vénérables se dissolvent… Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané », écrivait Marx, constatant les effets ravageurs du capitalisme…  Marx n’était pas nihiliste, il observait que la table allait être rase, qu’on pouvait la mettre autrement et y servir autre chose, après que la bourgeoisie ait « noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise, dans les eaux glacées du calcul égoïste », forçant « enfin » les hommes à « envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés ».  Et nous revoilà en un temps où, comme Gramsci voyait le sien, « le vieux meurt et le neuf hésite à naître »...

Ce à quoi nous assistons est bien l’effacement des vieilles structures de domination politique (l’Etat), sociale (le salariat) et culturelle (les églises, l’école, l’université) au profit d’espaces à conquérir, et qui peuvent être des espaces de liberté ou des espaces marchands, selon qui se révélera capable de les investir (ou d’y investir...). Cet effacement n’est pas celui du capitalisme lui-même. Sa crise est évidente, pas sa fin, même si ce système, pas plus qu’un autre, ne peut prétendre à l’éternité.  La question est dès lors de savoir qui, du capital ou de sa négation, de la marchandise ou de sa critique, prendra le contrôle de ces espaces nouveaux, que le capitalisme a lui-même créé –mais comme Frankenstein avait créé sa créature. Cette question, en somme, est toujours celle qui se posait en 1792, et qui se reposa en 1848, en 1871 et en 1917 : un système (qui n'est pas le capitalisme, mais seulement l'un de ses modes) s’effondre -mais à quoi ressemblera ce qui lui succède ? Mirabeau ou Babeuf ? Louis-Napoléon ou Blanqui ? Thiers ou la Commune ? Lénine ou Makhno ? Mussolini ou Gramsci ? Lister ou Durruti ? Bachar ou le Rojava ?

Ce qui est ou doit être  décisif est que le capitalisme produit des forces capables de le détruire, et que bien des résistances à ce capitalisme-là, celui qui arase l’ordre établi par le capitalisme ancien et par le capitalisme socialisé, concourent à la rendre supportable en s’arqueboutant  sur les institutions, les agents, les pratiques  de l’ordre ancien. Il faut changer quelque chose pour que rien ne change : Cette loi qu’exprime au Guépard son neveu, rallié à la révolution garibaldienne puis à sa répression, le mouvement ouvrier l'a, sans le savoir d’abord –puis, sourdement, en l’admettant- appliquée.

Ainsi l’opposition entre réformistes et révolutionnaires tient du souvenir, quand on en est à se demander s’il y a encore des révolutionnaires, et que l’on constate que ceux qui se disaient tels il y a vingt ou trente ans en sont réduits aujourd’hui à organiser la défense des conquêtes du réformisme, abandonnées par les réformistes eux-mêmes.

Du point de vue des opprimés, l’histoire est l’histoire de défaites successives, de déperditions accumulées, de trahisons et de captations récurrentes. Le progrès dans l’histoire, c’est le progrès des vainqueurs de l’histoire, et les vainqueurs de l’histoire sont toujours, ou ont toujours fini par être, des oppresseurs. Il n’y a finalement que deux manière d’accompagner le capitalisme : l’accompagner comme Leporello accompagnait Don Giovanni ou l’accompagner comme le loup accompagne le petit Chaperon Rouge... « Moraliser le capitalisme » ne peut d’ailleurs signifier qu’en atténuer, pour un temps dont la prochaine crise sera le terme, les méfaits. Or face au capitalisme, ce n’est pas une morale qu’il faut dresser, mais une politique. Et donc une éthique –laquelle ne se confond pas avec une morale : quand la morale est imposée comme une norme, l’éthique est adoptée comme un principe. On obéit à l’une, on se donne l’autre. Ainsi, « moraliser le capitalisme » n’est possible que par son abolition.

Jamais le déroulement de l’histoire n’est conforme aux volontés de ceux qui croient la faire et sont faits par elle, ne faisant que la suivre, feignant d’être les organisateurs de cette chose qui les dépasse. Les dirigeants sont dirigés, les leaders sont conduits, les chefs suivent, et le divorce est absolu entre le discours sur la réalité et la réalité elle-même : si elle ne semble pas se venger de lui, c’est qu’elle est trop occupée à en rire.





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