Droits des femmes : La longue route de l'égalité


Il aura fallu aux femmes suisses attendre 1996 pour qu'une loi fédérale instaure l'égalité entre femmes et hommes et 2018 pour que les moyennes et grosses entreprises rendent compte de leurs pratiques salariales, 2002 pour que l'interruption de grossesse soit légalisée, 2004 pour que la violence conjugale devienne un délit, 2005 pour obtenir un congé-maternité, 2014 pour que l'autorité parentale conjointe devienne la norme... Il aura aussi fallu attendre 1969 pour qu'à Genève le Collège devienne mixte, et qu'on en finisse avec une filière spécifiquement féminine -et dévalorisée pour cette seule raison : on formait l'élite masculine de la République au Collège, et ses bonnes épouses à l'Ecole Supérieure de Jeunes Filles... ou à l'Ecole Ménagère. Sans doute la mixité n'est-elle pas encore l'égalité, mais cette condition  insuffisante n'en fut pas moins nécessaire. Et aujourd'hui, le mouvement des femmes les fait passer du statut de victimes à celui de combattantes : elle les rend capables de se faire respecter. Par lui, elles refusent désormais de subir. Elles ne sont plus vulnérables, elles sont dangereuses. Et c'est une conquête -d'autant plus importante qu'un peu partout, ce qui a été conquis reste menacé. Comme l'est leur droit à choisir d'enfanter ou non.

"Vous devrez rester vigilantes votre vie durant"

"il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question", écrivait Simone de Beauvoir, qui ajoutait, à l'intention des femmes : "vous devrez rester vigilantes votre vie durant". Un peu partout dans le monde se dessine une remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps -et donc de leur maternité, et donc de leur droit à y mettre fin. Le droit à l'avortement a certes été reconnu à de nouveaux pays ces dernières années, mais il a aussi été restreint dans d'autres, plus nombreux. Et aujourd'hui, 45 % des 56 millions d'avortements pratiqués dans le monde le sont dans des conditions dangereuses, dues le plus souvent à la prohibition légale de l'acte. Même en Europe, où il n'y a plus que Malte et la Pologne (sauf exceptions) où l'avortement est interdit, les IVG sont rendues très difficiles par le refus, au nom d'une "clause de conscience", de médecins de les pratiquer (c'est par exemple le cas en Italie)ou par la rareté, voire l'absence, de structures hospitalières adéquates, comme en Grèce ou en Bavière. Et 70'000 femmes meurent chaque année en Europe des suites d'un avortement non médicalisé. Andorre, Monaco, Saint-Marin, le Liechtenstein, Malte et, évidemment, le Vatican sont certes les seuls Etats où l'avortement est interdit, mais les tentatives de le restreindre là où il avait été conquis se sont multipliées, avec ou sans succès. En Espagne, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy avait tenté, sans y arriver face à la mobilisation des femmes, de revenir sur la légalisation acquise en 2010, mais le consentement des parents a été introduit pour l'IVG des mineures. Au Portugal, les frais liés à l'IVG sont à la charge des femmes qui y recourent, et doivent subir un examen psychologique approfondi. En Pologne, où le droit à l'avortement n'est reconnu qu'en cas de viol, danger pour la mère ou malformation du foetus, la droite catholique tente de l'abolir tout à fait. la Macédoine, la Géorgie, la Russie, la Slovaquie ont restreint le droit à l'IVG. En Italie, 70 % des gynécologues refusent de le pratiquer, alors qu'il est légal.
Aux Etats-Unis, où l'interdiction de l'avortement a été rendue inconstitutionnelle par la Cour Suprême, la droite religieuse tente de renverser cette jurisprudence).
En Amérique latine, seuls l'Uruguay et (sauf erreur) la Guyana autorisent l'IVG avec un minimum de restrictions. En Afrique, seuls le Mozambique, la Tunisie et l'Afrique du Sud sont dans ce cas, comme en Asie la Chine, le Vietnam et le Laos. Au Proche et Moyen Orient, aucun Etat (arabe ou non, musulman ou non) n'a réellement libéralisé l'avortement.

Sans doute la liberté donnée aux femmes d'interrompre une grossesse n'est-elle pas l'alpha et l'omega de leur émancipation, mais sa remise en cause même signale son importance décisive : celle de la maîtrise par les femmes de leur corps. C'est le même combat qu'elles mènent encore aujourd'hui contre les violences qui leur sont faites. Toutes les violences.

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