Désobéissance civile et responsabilité individuelle : Vive le Juge !


Le Tribunal de police de Renens a acquitté les activistes de "Lausanne Action Climat" coupables d'avoir joué une partie de tennis dans les locaux du Crédit Suisse pour dénoncer les investissements de la banque dans les énergies fossiles. Ils avaient été condamnés par ordonnance pénale et avaient fait appel. Finalement, le juge a certes reconnu contre eux la violation de domicile et l'insoumission aux ordres de la police, mais il a reconnu la "nécessité licite" de leur action par ailleurs illégale, en estimant que " telle que conçue par les prévenus (elle) a constitué le seul moyen efficace pour faire réagir la banque", qui n'avait, avant l'action des militants, jamais répondu à leurs sollicitations, pas plus qu'à celles de Greenpeace, et que Crédit Suisse n'a exprimé son soutien à la "finance durable" (bel oxymore, soit dit en passant) qu'après avoir servi de théâtre à la performance des écolos. Par ailleurs, le temps de l'action politique institutionnelle étant ce qu'il est, il est incompatible avec l'urgence climatique, ce qui légitime d'autres modes d'action, d'autant que les interventions des parlementaires fédéraux sur ce thème depuis des années n'ont eu pour réponse que "des déclarations d'intention inoffensives, voire lénifiantes". En clair, le juge légitime la "désobéissance civile" lorsqu'elle est la réponse à un "état de nécessité". Vive le Juge ! Du coup, la télé est allée chercher un vieux jeune politicien, le PLR valaisan Nanternod, pour qu'il dénonce une "justice suisse qui rend maintenant des jugements politique" et s'en prend au droit (sacré) à la propriété privée. Sur quoi le procureur vaudois fait appel de la décision du juge de Renens, qu'il trouve "surprenante". Mais ça, c'est pas de la "politique". Juste une rogne de mauvais perdant. Parce qu'il faut être clair : qu'est-ce qu'une "justice politique" ? une justice qui rend un verdict qui déplaît aux vieux jeunes radelibes valaisan...


Nous sommes libres de faire tout ce que je pouvons faire. A nos risques et périls.

Le juge de Renens
légitime la "désobéissance civile" lorsqu'elle est la réponse à un "état de nécessité" tel que le droit le définit ("un danger imminent et impossible à détourner autrement" qu'en commettant un "acte punissable), la nécessité étant de faire face aux conséquences imminentes du réchauffement climatique. Pour faire réagir une banque investissant dans les énergies fossiles en contribuant ainsi à ce réchauffement, l'action menée par les militants lausannois pour "alerter l'opinion publique et attirer l'action des médias (...) était le seul moyen efficace" -le seul moyen pacifique, s'entend. Cette légitimation de la désobéissance civile, nous pouvons la prendre pour la confirmation d'un constat : rien, jamais, n'a avancé dans la conquête des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans le strict respect du droit positif tel qu'il est (ou de la coutume telle qu'on en hérite) : la désobéissance civile, le refus de se soumettre à une loi au nom d'une cause plus importante que le respect de la loi, en faisant de ce refus le moyen pacifique d'un combat politique et social,  a permis (et quand elle ne suffisait pas, des révolutions l'ont fait à sa place) la conquête des droits politiques par les femmes, la reconnaissance des droits des homosexuels, la reconnaissance du droit de grève, du droit à une retraite, à des vacances, à un temps de travail supportable. La Grève générale de 1918 en Suisse, c'était de la désobéissance civile. L'organisation par les femmes de scrutins auxquels elles étaient conviées alors qu'elles n'avait pas encore le droit de vote, c'était de la désobéissance civile. L'occupation du site de Kaiseraugst, c'était de la désobéissance civile. Et les "critical mass", c'est de la désobéissance civile.

Ce que la désobéissance civile met en évidence, c'est le rapport de la loi et des libertés -du droit et des droits. Un rapport contradictoire, voire conflictuel.  La société (l'Etat, son droit) nous dit ce que nous avons le droit de faire, ce qu'il nous est interdit de faire, ce que nous sommes obligés de faire. Elle nous dit aussi quelle récompense nous recevons d'avoir obéi à ces injonctions, et quelle punition nous encourons d'y avoir désobéi. Mais cela posé, nous sommes fondamentalement, ontologiquement, libres de faire tout ce que nous pouvons faire, à nos risques et périls -autrement dit : de faire ou non ce qu'on nous enjoint ou nous interdit de faire. A nous ensuite d'assumer la responsabilité de nos choix. C'est ce qu'on fait les militants lausannois d'"Action Climat".

Il y a donc des limites à ce que nous avons le droit de faire, mais pas d'autres limites à ce que nous pouvons faire que précisément notre capacité de le faire. Notre capacité, pas notre droit : cette tension entre la liberté et le droit se résout dans la responsabilité de nos actes. La désobéissance civile, c'est cette affirmation d'une prise de responsabilité individuelle et collective qui dépasse le droit. Les militants lausannois ont pris cette responsabilité. Un juge leur en a reconnu le droit. Merci aux uns et chapeau à l'autre.

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