La haine, une opinion ?

Refuser l'homophobie, comme le racisme


Le Conseil d'Etat genevois a appelé à soutenir la proposition, soumise au peuple le 9 février et soutenue par le Parlement et le gouvernement fédéraux d'étendre la loi antiracisme à l'homophobie. Il explique qu'il ne s'agit nullement de restreindre la liberté d'expression, mais uniquement de réprimer les appels à la haine et à la violence à l'encontre des homos, bis et trans sexuel-le-s. Il rappelle que la Constitution genevoise (comme la zurichoise) interdit explicitement les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, mais ne peut faire respecter cette interdiction faute de disposition sanctionnant pénalement son irrespect. Le Recteur de l'Université, Yves Flückiger, résume : "le but de cette loi n'est pas d'interdire des opinions mais de permettre que les débats se fassent dans le respect de tout un chacun. La pasteure Caroline Costa y voit une protection "de toutes et tous", la présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Martine Brunschwig Graf, précise : "l'incitation à la haine n'est pas l'expression d'une opinion".

A Genève, au XVIe siècle, on noyait les homosexuels dans le Rhône. Au XXIe siècle, on rêve d'y noyer l'homophobie.

Il fut un temps, pas si loin du nôtre, et dont quelques uns n'attendent que le retour, où le racisme était normal, au strict sens du terme : il était la norme. La norme, aujourd'hui, c'est le refus du racisme. Sans doute cela ne l'a pas fait disparaître, mais cela dit tout de même que désormais la société ne se fonde plus sur lui pour définir les rapports entre les individus et les groupes. Et que les racistes doivent se le tenir pour dit : rien ne les empêche de rester racistes au bas fond d'eux-mêmes, mais ils ne disposent plus dans nos pays du pouvoir de discriminer, d'injurier, de violenter librement celles et ceux qu'ils considèrent comme d'une "race" humaine inférieure, eux-mêmes se définissant forcément comme étant d'une "race" humaine supérieure. Et s'ils ne disposent plus de ce pouvoir, c'est qu'une loi désormais le leur interdit. Il en va donc de la loi proposée au vote des Suissesses et des Suisses dans trois semaines comme de celle qui déjà proscrit non le racisme, mais sa concrétisation en actes : ce qui nous est proposé, c'est de poser l'homophobie comme contraire à la norme sociale. Comme le racisme. Et comme nombre de pays européens en ont déjà décidé, et comme le Conseil de l'Europe et l'ONU le recommandent.

Le racisme était la norme, l'homophobie aussi. Mais jusqu'à présent, rien dans la loi ne vient encore la contrecarrer. La loi est une norme. Rien d'autre qu'une norme. Elle fixe une limite -à chacun ensuite de décider de s'y tenir ou de la franchir, à ses risques et périls. La loi proposée ne restreint en rien la liberté d'opinion, elle ne punira ni les propos privés, ni les propos non intentionnellement discriminatoires, ni l'expression non injurieuse d'une critique, elle ne punira que des actes publics, intentionnels. Des enfants ont été refusés à la crèche parce qu'ils sont ceux d'un couple homo ? ce ne sera plus possible sans pouvoir être sanctionné; des propos haineux sont lancés à des lesbiennes marchant à Lausanne pour leurs droits ? leurs auteurs pourront être sanctionnés. Il ne s'agit de rien d'autre que de refuser que l'orientation sexuelle continue d'être prétexte à la libre expression de la haine, à la profération de menaces, à l'exercice de discriminations. Fussent-elles justifie par la psalmodie du Lévitique. Le comité référendaire a beau nous seriner qu"il y a bien longtemps que les personnes homosexuelles sont considérées comme des membres à part entière de la société", tout son discours prouve qu'il est encore bien loin d'une telle prise de conscience), et d'innombrables témoignages attestent de la persistance -et dans certains milieux de la permanence, de l'homophobie. Qui, en renvoyant les homos à leur orientation sexuelle, les y réduisent, et les isolent. On ne connaît même pas l'ampleur de l'homophobie , mais la traiter comme on traite le racisme permettrait précisément de mesurer cette ampleur
(à elle seule, l'antenne de signalement LGBT+ Helpline recense depuis quatre ans deux agressions homophobes ou transphobes par semaine).

A Genève, seules trois formations politiques (dont deux fondamentalistes protestantes) refusent le projet de loi : l'UDC, le parti évangélique et l'Union démocratique fédérale. L'alliance évangélique suisse (la faîtière des églises "évangélistes", c'est-à-dire fondamentalistes protestantes) la rejette d'ailleurs également, au nom du droit à la "critique de certains mode de vie", conformément à une non moins certaine "compréhension de la Bible". Les églises protestantes issues de la Réforme (luthérienne, zwinglienne, calviniste) appellent en revanche à soutenir la nouvelle norme. Quant à l'Eglise catholique romaine, divisée, elle a renoncé à donner un mot d'ordre -mais certains de ses dignitaires, comme l'évêque auxiliaire de Coire, se sont exprimés contre, à l'instar de "Perspective catholique", un machin dont on avoue qu'on ignorait jusqu'à aujourd'hui l'existence, et dont on préfère continuer à ignorer l'essence. Ne voyez pas, frères et soeurs, dans cette conjonction des fondamentalismes protestants et catholiques une manifestation particulière d'œcuménisme : c'est juste un partage de l'homophobie ordinaire. Partagé en outre avec la misogynie : comme en témoigne dans "socialistes" la victime d'un passage à tabac homophobe : "je perçois l'homophobie comme le paroxysme de la misogynie" -et de conclure : "le jour où on arrêtera de traiter les femmes comme la société le fait aujourd'hui, alors il sera moins grave pour un homme d'aimer un autre homme" (et pour une femme d'aimer une autre femme).

En Suisse, un-e homosexuel-le sur cinq a tenté, parfois réussi, de se suicider, et la moitié de ces passages à l'acte de mort ont été faits par des jeunes moins de vingt ans. Comme le racisme, l'homophobie tue. Depuis longtemps : il faut mettre à mort les homosexuels ordonne la Bible (Lévitique XX.13 ) -c'est peut-être la seule prescription biblique que suivirent les nazis, qui ajoutèrent dans les camps d'extermination les triangles roses des homosexuels aux étoiles jaunes des juifs. A Genève, au XVIe siècle, on noyait les homosexuels dans le Rhône. Au XXIe siècle, on ne propose pas d'y noyer les homophobes -seulement, en rêve, l'homophobie.

Commentaires

Articles les plus consultés