En attendant le jour d'après

"Jusqu'ici, tout va bien"...



Hier, 25 mars, on dénombrait en Suisse 10'714 cas d'infections au COVID décelées pour 91'400 personnes testées (plus toutes celles qui n'ont pas été repérées), soit une séropositivité de 14 %. L'épidémie avait fait hier de 161 à 170 morts. Le 22 mars séropositifs les séropositifs étaient âgés de 0 à 101 ans, avec une médiane de 51 ans. Les adultes sont beaucoup plus touchés que les enfants et, dès 60 ans, les hommes plus touchés que les femmes. On peut désormais tester 7000 personnes par jour en Suisse, soit un taux de test de 5800  par million d'habitants : c'est moins que la Corée du Sud (6150) mais plus que l'Italie (3450). Et plus de deux milliards d'habitants de la planète sont actuellement soit confinés à leur domicile, soit vivement incités à s'y confiner eux-mêmes. Comme nous le désillusionne Stéphane Gobbo dans "Le Temps", on ne peut même pas se rassurer en se répétant en mantra que "jusqu'ici tout va bien", parce que forcément, le "jusqu'ici" suggère que ça va mal finir... 


"Lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu’il était»... vraiment ?

En Suisse, le confinement, très relatif, reste à géométrie très variable, et des milliers de travailleuses et de travailleurs continuent à oeuvrer dans des locaux mal adaptés, voire pas adaptés du tout, aux exigences sanitaires, et souvent sans protections. On continue à fabriquer des montres qui ne peuvent plus être achetées -sinon par internet. Et on attend que la courbe de l'infection se stabilise, en laissant, pour ne pas "arrêter l'économie", des milliers de personnes confrontées par leur travail au double risque d'être infectées et d'infecter. Et le Conseil fédéral suspend les dispositions légales sur le temps de travail et de repos du personnel soignant, pour pouvoir le faire travailler plus de 50 heures par semaine sans heures supplémentaires et plus de 60 heures avec heures supplémentaires. Et des assurances privées contractées contre les risques liées aux épidémies refusent de couvrir ceux d'une pandémie. Et l'Office fédéral des assurances sociales refuse d'indemniser les chauffeurs de taxis pour leurs pertes de revenus, alors qu'ils n'ont plus de clients -et que s'ils en avaient, il ne pourraient évidemment respecter avec eux la distance recommandée de deux mètres . Et l'Office fédéral de la Justice conteste au Tessin et à Genève le droit de fermer les chantiers.  Quant au confinement, il n'a pas été, jusqu'à présent, refusé (alors qu'Alain Berset y est favorable) pour des raisons d'efficacité, mais pour ne pas paralyser "l'économie" : le lobbyisme patronal (celui d'Economie-Suisse, en particulier) a été particulièrement actif.


"Lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu’il était» écrit l'Italienne Francesca Melandri dans sa "Lettre aux Français et Suisses depuis leur futur ("Libération, le 19/03/2020)... en pouvons-nous être si sûrs que cela, que le monde ne sera plus dans trois mois ce qu'il était il y a trois mois ? Et s'il est autre, sera-t-il meilleur ou pire ? Le COVID-19 nous aura-t-il fait assez peur pour que nous ne recommencions pas à nous comporter comme si de rien n'avait été ? A prendre l'avion plutôt que le train pour aller à Paris ? A aller faire ses courses en bagnole dans un centre commercial d'Annemasse plutôt qu'à pied à la Coop ou la Migros du quartier ? A fermer des lits d'hôpitaux, voire des hôpitaux, à bloquer l'engagement de personnel soignant ou paramédical ? à sous-traiter à des entreprises privées des tâches d'utilité publique et à privatiser des services publics ? A refuser, par principe, l'instauration d'un salaire et d'un revenu minimum ? A verser des rentes de retraite ou d'invalidité qui ne permettent pas de vivre ? A réinstaller, une fois que les chantiers arrêtés repartiront, une organisation du travail qui fait peser sur les travailleurs de la construction une pression de plus en plus insupportable (journées de travail allant jusqu'à onze heures avec des temps de déplacement non comptés dans le temps de travail) et une insécurité grandissante (un travailleur de la construction sur six est victime d'un accident chaque année, une vingtaine en meurent) m? Et des enseignements à tirer des erreurs et des errances face à l'épidémie, lesquels seront réellement tirés ? Le centralisation du processus de décision pendant le temps de la lutte contre la propagation du virus s'effacera-t-elle une fois cette propagation stoppée ? Et la généralisation de l'"école numérique" pour cause de confinement des élèves à la maison va-t-elle se poursuivre sans attention à la dépendance qu'elle provoque à l'égard des "géants du net", et à la "fracture numérique" entre les familles disposant de tout l'équipement nécessaire  (imprimante, accès à un réseau suffisant et plusieurs ordinateurs, pour pouvoir en affecter un aux enfants pendant que les parents en utilisent un autre pour le télétravail) et celles qui n'en disposent pas ? Enfin, l'Europe incapable d'une réponse commune face à une pandémie comme elle l'est pour l'accueil des migrants, en sera-t-elle désormais capable ? Du moins son incapacité présente à imposer une telle réponse à ses Etats membres renvoie-t-elle à l'insignifiance ou au complotisme la dénonciation paranoïaque de sa "tutelle sur les nations et les peuples"... 


De ce mal, le COVID, peut-il naître un bien ? il faudrait  alors cesser de s'en prendre au virus et à ceux qui le trimballent et le transmettent par inconscience, ou par connerie, puisque ce virus serait aussi bénéfique que celui qui détruit les envahisseurs, sans anticorps, de la "Guerre des Mondes" de Wells : ces gros méchants pompant le sang des humains qui n'arrivent pas à les tuer, finissent par l'être "par les infimes créatures que la Divinité, dans sa sagesse, a placées sur la Terre". On l'avoue, toutefois : on a peine à croire qu'une divinité en laquelle on ne croit pas ait placé sur terre un COVID-19 auquel on est bien forcé de croire pour nous débarrasser du capitalisme, du racisme, des inégalités, de l'exclusion sociale, du patriarcat, de la propriété privée, des armées, des frontières et des églises. La peste noire a-t-elle eu raison du féodalisme, ou la grippe espagnole du militarisme ? Ce qui nous tient lieu de pessimisme de la raison nous fait douter que "lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu’il était» fondamentalement... quand ce qui nous tient lieu d'optimisme de la volonté nous incite à faire ce qu'on pourra pour ce qui ne nous a pas tué nous rende plus forts et plus justes.

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