Il y aura un "après COVID-19"...


L'épidémie qui trie


On s'en souviendra, de cette fin d'hiver et début de printemps 2020. On s'en souviendra, mais quels enseignements en tirerons-nous ? lesquels de nos comportements vont changer, et lesquels renaître comme si de rien  n'avait été, une fois l'épidémie évanouie ? L'économie, durement frappée non par le virus mais par les mesures prises pour en combattre la propagation, reprendra vigueur -comme après toutes les crises, même les pires : le capitalisme sait en faire l'occasion et le moyen de se réformer lui-même, quelque prix que cela coûte -tant que ce ne sont pas les capitalistes eux-mêmes qui ont à le payer. Toutes les collectivités publiques vont passer à la caisse : les communes, les régions (les cantons, chez nous), les Etats, les regroupements supranationaux (comme l'Union Européenne) vont dégager ensemble des centaines de milliards pour soutenir les entreprises, la production et la consommation. Les bon vieux dogmes de l'équilibre budgétaire, de la maîtrise de la dette, de la liberté des marchés ? mis au congélateur -il sera bien temps de les en sortir quand la pandémie sera passée. Et quand elle aura fait à notre place le tri de ce qui importe et de ce qui indiffère, le tri de l'indispensable et du futile, du bénéfique et du nuisible. Mais de ce tri, quel usage serons-nous capable de faire ?


Chantez, gueulez, battez tambours, sonnez trompettes tous les soirs à 21 heures
 

Etrange ambiance à Genève, ces jours, on se croirait un dimanche de jour férié en hiver : bistrots, théâtres, cinémas, magasins fermés, marchés à l'arrêt, chantiers arrêtés, presque personne dans les rues presque silencieuses, et de plus en plus de visages masqués... A 21 heures, sur nos balcons, on gueule notre solidarité avec les travailleurs de la santé et du nettoyage. Mais à l'aéroport, le week-end dernier, et encore lundi les partants s'agglutinaient dans une promiscuité méprisant ouvertement les consignes de distance. Aux frontières, il fallait mardi des heures pour entrer en Suisse. Et on ne pouvait plus entrer en France si on n'avait pour cela de solides raisons. Mais nous est-il indispensable de pouvoir faire nos courses en France quand ici tous les magasins d'alimentation et de produits de première nécessité restent ouverts (et leur personnel exposé) ? De ce à quoi nous avons dû renoncer, sans savoir jusqu'à quand, qu'est-ce qui nous était indispensable ? qu'est-ce qui peut être remplacé ? nous être accessible par d'autres moyens que ceux dont nous usions ? Le théâtre, le cinéma, les concerts, les bistrots, les manifs, les séances d'un parlement et de ses commissions étaient (et seront à nouveau) de nos vies, et les les compétitions sportives, les salles de fitness, les séances de coiffure, de la vie d'autres -mais étaient-elles des conditions de ces vies ? Un film sur un écran au salon ne vaut pas un film dans une salle, un concert sur une chaîne hi-fi ne vaut pas un concert au Victoria-Hall, le théâtre à la radio ou à la télé ne vaut pas le théâtre dans une salle, sans doute -mais ne peut-on s'en passer pendant un, deux ou trois mois ? D'autres, ailleurs, s'en passent pendant toute une vie et ne vivent pas moins...
 
La Suisse comme tous ses voisins est désormais en état d'urgence (plus précisément dit "état de situation extraordinaire", décrété par le Conseil fédéral le 16 mars. "Une réaction forte s'impose dans tout le pays (car) il faut à tout prix ralentir la propagation de l'épidémie et ne pas submerger les hôpitaux", a justifié la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga. Cette épidémie n'est pas la première qui frappe notre ville et notre pays (en 1957, une épidémie de grippe asiatique avait frappé Genève, en 1918, celle de "grippe espagnole avait fait des milliers de morts en Suisse, des millions de morts en Europe, des dizaines de millions dans le monde, et on vous fait grâce de rappels détaillés des épidémies de peste, de choléra, de typhus, de temps pas si anciens qu'on croit), mais c'est la première des temps de mondialisation. 
 
Qu'est-ce qui a changé depuis un siècle, depuis la grippe espagnole ? pas la mécanique d'une pandémie, mais les moyens à disposition pour l'enrayer et la surmonter. En 1918, il fallait au moins une journée pour que la majorité de la population soit informée des décisions prises par les gouvernants et les services de santé -il faut moins d'une heure aujourd'hui. Et on en sait plus, aussi, sur les virus et leurs vecteurs. Plus rien ne peut dès lors excuser la dénégation de ce qui devrait sauter aux yeux : cette pandémie est ravageuse, et mortelle. Peut-être est pour cela que nous y répondons parfois, ou souvent, comme, si l'on en croit Elisabeth Kübler-Ross, on répond à l'annonce de sa mort prochaine, d'abord par le déni, ensuite par la colère, puis par quelque chose qui tient de la négociation, puis encore une profonde dépression, dont on sort par une acceptation résignée. A quel stade en sommes-nous ? certains, sans doute, encore à celui du déni (ou de la théorie du complot, qui n'en est qu'une variante). D'autres, à la colère -après tout, de cette épidémie, il y a d'autres responsables que le pangolin. Mais surtout, nous en sommes au stade de la négociation, puisque de la gestion : freiner la propagation du virus et sa transmission, préserver les capacité d'accueil et de soins des structures hospitalières, maintenir les services essentiels. Les autorités politiques, mais les Exécutifs seuls, à tous les niveaux, ne font plus que cela : gérer l'épidémie et la propagation du virus, et les conséquences de la réponse qu'on leur donne. Et tout s'accélère, chaque jour radicalise les mesures prises la veille. L'urgence recalibre tout, et dévalue les discours tenus la semaine précédente, qui parfois, -les nôtres comme ceux des autres, nous semblent déjà vieux d'un siècle. 


La pandémie s'installe dans nos vies., mais la vie continue. La vie privée, la vie publique. Elles changent, mais elles continuent. La mort aussi, certes, mais elle, on peut la retarder. Ce qui importe, désormais, est moins de se préserver des autres que de préserver les autres de soi. Mais aussi, de manifester, de quelque manière que ce soit, matérielle ou symbolique, notre solidarité admirative à l'égard de celles et ceux qui, travailleuses et travailleurs de la santé, de la sécurité, des transports, du nettoyage, mettent en jeu leur santé pour que nous puissions préserver la nôtre. Il faudra se soutenir de cet engagement, et demain, se battre pour les mieux payer, les mieux traiter, les mieux entendre -et en engager plus. 
En attendant, chantez, gueulez, battez tambours, sonnez trompettes tous les soirs à vos fenêtres ou sur vos balcons à 21 heures pour leur manifester notre soutien.

Commentaires

Articles les plus consultés