La Démocratie, malgré tout...

Fallait-il maintenir le 5 avril deuxième tour des Municipales genevoises ? Ben oui...


Le deuxième tour de l'élection des exécutifs municipaux genevois aura lieu malgré le COVID-19 : le Conseil d'Etat a en effet refusé les demandes de le repousser, dont celle de SolidaritéS ,qui ne s'intéresse gère qu'à l'élection de l'exécutif de la seule commune  de Genève. On était d'ailleurs surpris de la modération de la demande initiale : Solidarités auait pu carrément demander au Conseil d'Etat de déclarer son candidat au Conseil administratif de la Ville, Pierre Bayenet élu sans élection. Mais comme sa demande consistait aussi à "prolonger par arrêté le mandat des magistrats en place dans les communes où le deuxième tour doit se tenir", elle impliquait le maintien de Rémy Pagani à son poste jusqu'à nouvel ordre. Ce serait toujours ça de pris. Il a bon dos, le coronavirus. Etait-il même possible, légalement, constitutionnellement, de repousser la date de l'élection du CA, sachant qu'il doit obligatoirement entrer en fonction le 1er juin ?  SolidaritéS  a annoncé qu'elle fera recours contre la décision de maintenir la date du 5 avril pour le deuxième tour des Municipales genevoises -mais on voit mal pourquoi on devrait renoncer à cette date : rien n'empêche ni l'exercice du droit démocratique d'élire, ni l'exercice préalable du débat politique, ces exercices prendront simplement d'autres formes -il n'ont cessé de se réformer, depuis qu'ils se sont imposés. On a pu à Genève voter en temps de guerre. On pourra voter en temps d'épidémie. Par correspondance (il n'y aura pas de local de vote), comme 95 % des votants le font déjà en temps normal (c'est ce qui différencie l'élection municipale genevoise de la française, qui se fait au local de vote). Même dans son expression la plus normative et rituelle, le vote, la démocratie peut ne pas céder devant un virus...


On peut voter comme on aime ou déteste : à distance...


En 1943,  l'Europe est en guerre, les armées du IIIe Reich sont aux frontières genevoises, des avions alliés survolent Genève, Bâle, Schaffhouse, pour aller bombarder le nord de l'Italie, la France occupée ou le sud de l'Allemagne, on fait ses courses avec des cartes de rationnement... et à Genève on vote pour les élections municipales. Les manifestations sont interdites, la campagne se fait dans les journaux ou par des tracts, des courriers et des affiches... et les "listes ouvrières", premier nom du Parti du Travail, gagnent les élections (26 des 64 sièges du Conseil municipal de la Ville leur reviennent et le père de l'auteur de ces lignes est élu Conseiller municipal à Meyrin...). On avait donc pu organiser des élections municipales en pleine guerre mondiale, quand il fallait physiquement  se rendre dans un local de vote,  et même une grève générale en 1918 en pleine épidémie de grippe espagnole et des élections fédérales en 1919, quand elle sévissait encore,  et on ne pourrait pas voter aujourd'hui à cause d'une pandémie qu'on sait comment combattre, quand 95 % des électrices et des électeurs qui ont fait usage de leur droit d'élire au premier tour l'ont fait par correspondance, qu'on peut débattre, argumenter, polémiquer, dans la presse comme naguère et désormais sur les réseaux sociaux et que les candidats du deuxième tour l'étaient déjà au premier tour, et que rien n'a changé dans les alliances et les mésalliances d'entre les deux tours ?  
On a beau être fermement invités à rester chez soi, on n'a jamais eu autant de possibilité de faire acte de citoyenneté qu'on en a aujourd'hui (on regrettera au passage l'abandon du vote par internet, qui eût accru encore ces possibilités)... Et on n'a même plus besoin des locaux de vote (ni de jurés autres que ceux du dépouillement final). C'est dommage, d'ailleurs, le geste auguste du citoyen glissant son bulletin dans l'urne symbolisait la démocratie -mais s'il est moins auguste, et moins symbolique, le même geste dans une boîte aux lettres a la même valeur. Ce ne sont pas les possibilités de l'accomplir qui manquent, mais sans doute l'envie, le sens de l'importance de l'accomplir, quelque chose qui tient d'un devoir -celui de ne pas laisser quelques uns décider pour tout le monde.

Evidemment, le moyen le plus efficace de combattre l'abstention électorale est bien de supprimer les élections... Elle  risque fort d'être massive, le 5 avril ? Sans doute, puisqu'elle l'est déjà en temps "normal", sans qu'aucun virus ne l'explique. Et si elle devait être plus massive encore qu'à l'accoutumée, il serait loisible au Conseil d'Etat de ne pas ratifier le résultat de ce deuxième tour, et à n'importe quel citoyen d'en requérir devant un tribunal l'annulation. 

Si on admet que ce qui menace l'exercice des droits démocratiques n'est pas COVID-19 mais l'indifférence citoyenne, c'est bien cette indifférence que partis politiques, militantes et militants, media, devraient chercher, et trouver, le moyen de combattre efficacement : en convainquant les citoyens de l'être réellement, activement. Même en temps d'épidémie ? Même. Ou surtout : il doit y avoir entre nous un espace physique -pas un espace social ou politique. Ni affectif : on peut, pour cette fois, voter comme on peut aimer ou détester : à distance...

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