"Papyrus", un succès "individuel et collectif"...


La bonne Genferei


Une Genferei dont Genf peut-être fière : le Conseil d'Etat, les syndicats, les mouvements de soutien aux sans-papiers, ont tiré la semaine dernière un bilan très positif de l'opération "Papyrus", lancée en février 2017 à Genève, et qui a permis la régularisation de 2390 sans-papiers (dont 727 enfants), 744 dossiers étant encore en cours de traitement. L'opération, qui a pris fin le 31 décembre 2018, en catimini, sans Pierre Maudet qui en était la caution politique avec Simonetta Sommaruga, devrait donc au final permettre de régulariser 3000 personnes, en majorité des femmes employées dans l'économie domestique. Seuls 47 dossiers sur 3380 ont été refusés par le canton ou la Confédération parce qu'ils ne répondaient pas aux conditions posées pour une régularisation. Les autorités confirment que, contrairement à ce qu'annonçait l'UDC, "Papyrus"n'a provoqué aucun "appel d'air" (c'est-à-dire l'arrivée de nouveaux clandestins remplaçant celles et ceux régularisés), ni recours à l'aide sociale des personnes régularisées (seules 0,8 % des personnes régularisées, interrogées dans le cadre d'une enquête de l'Université de Genève, ont eu recours à l'aide sociale, et c'était pour des problèmes de santé).. En outre, elle a permis aux assurances sociales d'encaisser 5,7 millions de francs de cotisations sociales supplémentaires, puisque les sans-papiers n'en payaient pas, ni leurs employeurs, et que la régularisation des premiers et leur déclaration par les seconds les engagent désormais à s'en acquitter. Un succès "individuel et collectif", constatent autorités, associations et syndicats.  Reste à s'en inspirer pour le rééditer ailleurs qu'à Genève et l'élargir à des sans-papiers qui ne répondaient pas aux conditions posées dans l'opération qui s'achève après quinze années de lutte. Le résultat, pas l'aboutissement :  il reste 10'000 "sans-papiers" à Genève, et, d'après le Secrétariat d'Etat aux migrations, 76'000 en Suisse dans une semi-clandestinité ("semi", puisque toutes les administrations publiques concernées savent qu'elles sont là). A Genève, des milliers de personnes, de ménages, de familles emploient encore comme domestique ou garde d'enfant une personne sans statut légal, pour quelques heures, à temps partiel ou à plein temps. A Zurich, des dizaines de milliers de foyers en font autant.

Quand Genève montre une voie que la Suisse peut, doit emprunter

"Papyrus" est un exemple à plusieurs titres : c'est un exemple de collaboration efficace entre les associations de soutien aux sans-papiers, les syndicats, l'administration et les autorités politiques fédérales et cantonales. L'effort des associations et des syndicats a, en particulier, été considérable : 2230 heures de permanence, une vingtaine de séances d'informations collectives, 1264 dossiers montés pour 1931 personnes. C'est aussi un exemple de rationalité dans la définition des critères d'une décision administrative (le processus de naturalisation pourrait utilement s'en inspirer, soit dit en passant...) -des critères objectifs, transparents, clairs : durée de séjour, indépendance financière, absence d'antécédents pénaux. C'est enfin un exemple de prise en compte des situations personnelles les plus difficiles, le "bénéfice humain" de cette régularisation étant sans commune mesure avec son coût administratif : des milliers de personnes peuvent désormais vivre au grand jour, à visage découvert, sans craindre une arrestation et une expulsion; elles peuvent exercer légalement un emploi, bénéficier d'un contrat, être couvertes par une convention collective, obtenir un bail, ouvrir un compte postal ou bancaire... sortir de Suisse pour voir leur famille au pays, et rentrer en Suisse ensuite... vivre normalement, en somme. Et pouvoir se défendre contre les abus auxquels la clandestinité les avait trop souvent condamnées le syndicat SIT signale que "des milliers, parfois des dizaines de milliers de francs d’arriérés de salaires, de vacances ou d’heures supplémentaires non payées, ont ainsi pu être réclamées et obtenues".

L'opération Papyrus, en tant qu'elle était collective, est terminée (mais des régularisation individuelles restent possibles dans le cadre des procédures usuelles, et des demandes pourront toujours être déposées), mais l'exemple qu'elle donne doit maintenant être suivi, au niveau fédéral (le Conseil fédéral doit rendre cette année une "feuille de route" sur la manière dont il entend assumer la problématique du travail clandestin) et dans les cantons : c'était une Genferei, mais du genre de celles dont Genève peut s’enorgueillir. Parce qu'elle rompt avec l'hypocrisie qui entoure la présence des sans-papiers dans l'économie et la société, à Genève comme ailleurs. Parce qu'elle est un moyen de lutter contre le travail au noir, la sous-enchère salariale et sociale, d'assainir le secteur du travail domestique. Et de lutter contre la surexploitation des plus précaires des travailleuses et des travailleurs. Et parce qu'elle est un pas vers des choix plus ambitieux : la régularisation de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs sans statut légal.  C'est ce que revendiquait la grève féministe du 14 juin (la majorité des travailleurs sans statut légal sont des travailleuses dans l'économie domestique). L'absence de statut, le chantage constant à la dénonciation, l'insécurité permanente qui en découle, renforcent l'exploitation de cette main d’œuvre sans droits : salaires en dessous du minimum vital, absence de couverture sociale et d'assurance-maladie (et donc d'accès aux soins), risque élevé de harcèlement sexuel, voire de violences, impossibilité de se défendre devant les tribunaux. Genève à montré une voie que la Suisse peut emprunter. Mieux : qu'elle DOIT emprunter. Car elle a signé le 12 novembre 2014 (date de sa ratification par le Parlement fédéral) la convention N° 189 de l'OIT sur l'économie domestique. Le président de la Confédération, alors Ueli Maurer, écrivait "les migrants, les jeunes et ceux qui résident au domicile de leur employeur ont des besoins particuliers et sont exposés à des risques qui exigent des mesures spécifiques". Depuis le 12 novembre 2015, la Suisse doit donc appliquer la Convention, qui garantit aux travailleuses et travailleurs de l'économie domestique, des droits égaux à ceux des travailleuses et travailleurs des autres secteurs. 


Franchement, peut-on faire moins, aujourd'hui, que ce qu'un Conseiller fédéral UDC recommandait il y a plus de cinq ans ?

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