En mai, lis ce qu'il te plaît


On n'était pas confinés, mais on sera déconfinés


Donc, en Suisse comme ailleurs, on déconfine. Par étapes. Pas parce que l'épidémie a pris fin : parce qu'on craint que l'économie prenne fin. Et on déconfine contradictoirement : les coiffeurs pourront rouvrir lundi prochain, pas les libraires. Et on ne pourra toujours pas rendre visite à nos vieux parents en ems. Eux étaient réellement confinés, comme les détenus des prisons et les patients des hôpitaux. Mais nous ? Le confinement, partiel, et en grande partie volontaire, était ici une gène, mais pas un drame : on est loin du "confinement presque complet" qui "détruit presque complètement notre économie" qu'évoque l'UDC : aucune des infrastructures indispensables au fonctionnement social n'a été arrêtée, toutes ont fonctionné, les unes au ralenti, d'autres en surchauffe, mais toutes ont fourni ce qu'on avait besoin qu'elles fournissent -et on a pu au passage distinguer nos besoins de nos envies... On n'a coupé ni l'eau potable, ni l'électricité. L'alimentation a été garantie. On n'a manqué d'aucune source d'énergie fossile (puisqu'on continue à s'en goinfrer). Les réseaux n'ont pas été coupés : ni le téléphone, ni l'internet. Les media ont continué de fonctionner. Les transports public aussi. Et même l'aéroport. On ne pouvait plus aller boire un pot sur une terrasse à Barcelone, à Paris, à Berlin ou au Molard, mais on pouvait s'en passer. On pouvait se passer de coiffeur pendant quelques semaines. Et si nous sommes quelques uns à avoir eu quelque peine à nous passer de libraires, nous savions que ce n'était qu'une sorte de moratoire sur la satisfaction de nos désirs de livres. En mai, on lira ce qu'il nous plaît. Aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire.


"...ce qui fait l'essence même de notre engagement militant..." 
 
"Lever les restrictions trop rapidement pourrait entraîner une résurrection mortelle de la pandémie", prévient le patron de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Le concept de"résurrection mortelle" est admirable. Admirable aussi en Suisse le souci du PLR d'éviter "que la Confédération devienne une source de financement pour l'économie privée" : on ne l'avait pas entendue, celle-là, il y a dix ans lorsque la Confédération est devenue une source de financement pour des banques qu'il a fallu sauver des conséquences de leurs propres conneries. Le PLR et l'UDC, reprise en main par le clan Blocher, veulent un "redémarrage de la machine économique aussi rapide que possible" ("maintenant", exige l'UDC dans une pétition) et une accélération des processus de numérisation. A l'inverse, les Verts veulent affecter des milliards en faveur d'un "tournant vert", du renforcement des circuits économiques régionaux, de la protection du climat et de l'environnement, et de 'introduction d'un revenu de base inconditionnel. Quant aux syndicats, pour qui "la préservation du pouvoir d'achat pour les revenus bas et moyens doit être la première priorité dans la lutte contre la crise" (Pierre Yves Maillard, président de l'USS), et qui observe que "les filets de sécurité ne protègent pas encore tout le monde" (Vania Alleva), ils vont devoir se battre pour que les lieux de travail ne (re)deviennent pas des lieux de contamination. Ils exigent la garantie des salaires, la protection contre les licenciements (selon Economiesuisse, 30 % des entreprises ont l'intention de licencier des employés dans les deux mois) , la prise en compte prioritaire des salariés et des indépendants les plus vulnérables (et donc la garantie de l'application sur les lieux de travail des mesures de protection contre la contagion). L'USS demande en outre que les salaires faibles ou moyens soient garantis à 100 %, et que les entreprises ayant recours au chômage partiel (1,5 millions de salariés y ont été mis) ne puissent ni licencier, ni verser des dividendes. Les travailleurs proches de 'âge de la retraite devraient bénéficier d'une protection accrue contre le chômage et l'accueil de jour des enfants doit être financé par la Confédération (la moitié de la population active fait du travail, un tiers ne fait plus que cela, en même temps, écoles fermées, que les enfants doivent être gardés ), 50'000 places en structures d'accueil devant être créées.

On ne sait en réalité pas encore grand chose du Covid-19, mais tout ce qu'on en ignore encore, une foule d'experts plus ou moins autoproclamés nous assurent le savoir (ils s'ajoutent donc aux prophètes, aux prédicateurs, aux récupérateurs politiques qui sévissent depuis trois mois). Or « le problème avec les experts, c’est qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’ils ignorent » (Nassim Nicholas Taleb), et qu'ils croient donc savoir : non seulement comment le virus se transmet, mais d'où il vient, comment le combattre, comment le soigner, combien de temps on le porte sans qu'il nous affecte, pourquoi les enfants sont moins touchés que les adultes... On sait, en revanche qu'il ne cessera pas de circuler après le déconfinement, et on sait déjà, parce qu'on en a des données vérifiables, qu'il frappe et continuera de frapper les plus faibles : les plus vieux, les plus déjà malades (cardiaques, diabétiques, obèses...), les plus précaires, les plus pauvres. 


Dans une lettre de félicitation aux heureux élus et heureuses élus socialistes dans les Conseils municipaux, Thierry Apothéloz leur (nous...) rappelle  "ce qui fait l'essence même de notre engagement militant : l'amélioration des conditions d'existence, notamment des plus précarisé.e.s et des plus vulnérables". Si le déconfinement par étapes que propose (et dispose) le Conseil fédéral pouvait y concourir, nous y applaudirions. Les urgences sont différentes, et inégales : l'économie se relèvera, quelque temps qu'elle y mette, les "marchés" et les bourses se relèveront, les entreprises se relèveront si on fait l'effort de les aider, les assurances sociales, les services publics résisteront, si on leur en donne les moyens. Les écoles reprendront, le 11 mai ou plus tard... Les morts, eux, ne se relèveront pas.

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