Israël : Coronaccord de gouvernement


Palestiriens


Dimanche soir, des milliers de manifestants portant masques de protection et brandissant des drapeaux noirs (en signe de deuil des libertés), se sont rassemblés sur la place Yitzhak Rabin à Tel Aviv, en respectant entre eux la "distance sociale" de deux mètres des temps de pandémie, pour une manifestation contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qualifié de "Ministre du crime". "Laissez la démocratie gagner", exigeaient les manifestants. Prescients, ils dénonçaient par avance un accord de coalition passé sous prétexte d'union nationale entre Netanyahu et son concurrent (plus que son opposant) centriste Benny Gantz, des négociations qui ont provoqué le départ de deux partis de la coalition centriste Kakhol lavan. L'accord laisse Netanyahu au poste de Premier ministres, Benny Gantz sera ministre de la défense puis,après 18 mois,devrait prendre la place de Netanyahu. Si Netanyahu ne s'accroche pas à son poste. A la manif de dimanche, le chef de Yesh Atid, Yair Lapid, qui avait appelé à voter pour Gantz, a accusé Netanyahu d’avoir détruit la démocratie israélienne et  Gantz de l’avoir laissé faire. « C’est ainsi que les démocraties meurent au 21e siècle. Elles ne sont pas anéanties par des chars envahissant le Parlement. Elles meurent de l’intérieur. Il y a cinq ans, la Turquie était encore une démocratie qui fonctionnait. Il y a quatre ans, la Hongrie était encore une démocratie. Elles sont mortes de l’intérieur. Parce que les bonnes personnes étaient silencieuses et les faibles se sont rendus". Ou se sont vendus. On ne se demande même pas, ni leur demande-t-on,  ce que pensent les Palestiniens de cette escroquerie politique, ils ont bien d'autres sujets d'indignation : ni la pandémie, ni la crise politique n'ont entravé la colonisation et l'accaparement, sous divers prétextes, de leurs terres, leurs maisons, leur espaces palestiniens... avec la bénédiction de Trump.
 
"L’opposition au sionisme est une opposition à un nationalisme. Il se combat comme tel ".

Lors du dernier débat budgétaire municipal, la proposition de subvention de la Ville de Genève à la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation) avait été contestée par les socialistes et par "Ensemble à Gauche" (mais aussi le MCG), parce que si l'action de la CICAD contre l'antisémitisme et la négation de la Shoah est méritoire, et a été saluée par tous les groupes du Conseil municipal, l'assimilation, par la CICAD de l'antisionisme à l'antisémitisme pose problème (pour user d'un euphémisme). Et donc avait conduit les socialistes et EàG à refuser cette subvention, pour marquer leur refus de cet amalgame -non sans s'être assurés que leur refus allait rester minoritaire. Cette position avait fort mal passé du côté de la CICAD, qui s'en était ouverte au PS de la Ville dans le cadre d'une "tournée" des groupes politiques avant les Municipales, le PS s'étant alors s'est empressé de désavouer son conseiller municipal, alors même que pour une fois, il défendait la position de son groupe : devant les représentants de la CICAD, et selon la relation qu'elle a fait de cet échange, "les représentants du PS ont déploré "que la question budgétaire qui était le motif de refus du groupe ait dévié au bénéfice de propos déplacés". Sami Kanaan a assuré : "Nous récusons les propos insultants tenus par Pascal Holenweg à l'encontre de la CICAD" et pour Sylvain Thévoz "ce n'est pas le Parti socialiste dans son ensemble et sa diversité qui s'exprime lorsque Pascal Holenweg prend la parole. Nous regrettons que ses propos n’aient pas été contrebalancés". Pourquoi, et par qui auraient-ils dû l'être, puisqu'ils exprimaient la position du groupe socialiste, et qu'ils n'avaient évidemment rien d'insultant ? 
 
Essayant d'être clair à défaut d'être éloquent, on avait déclaré que "ce que nous remettons en cause n'est pas la CICAD ni le travail que le CICAD fait ou peut faire dans la lutte contre l'antisémitisme. Ce que nous remettons en cause, c'est un certain nombre (...) de confusions entre l’antisémitisme, l’antisionisme voire même la simple opposition au gouvernement en place dans l’État d’Israël. Ces confusions, c'est le pire service que l'on puisse rendre à la lutte contre l'antisémitisme.  (...) Le sionisme est un projet politique et n'est rien d'autre qu'un projet politique. Un projet politique peut se combattre comme un projet politique par d'autres projets politiques. L'opposition au sionisme est une opposition à un nationalisme (...)  il se combat comme tel. (...) A partir du moment où l'on confond l'antisionisme et l'antisémitisme, on affaiblit le combat contre l'antisémitisme parce qu'on le dilue. Et on le dilue plus encore quand on le confond avec l'opposition au gouvernement de l'Etat d'Israël (...) L'Etat d'Israël est un Etat comme un autre. Cet Etat a comme les autres un gouvernement. Et on doit pouvoir s'opposer à ce gouvernement, à cet Etat et à son idéologie ou sa pensée politique dominante sans être accusé de racisme". Autrement dit : ce n'est pas parce que des antisémites se posent en antisionistes, qu'il faut leur faire le cadeau d'assimiler l'antisionisme à de l'antisémitisme comme eux identifient "juif" et "sioniste".


Le sionisme est un projet politique né dans l'ambiance de l'Affaire Dreyfus, et de la découverte consternée par des intellectuels juifs ("juif" ne désignant évidemment rien d'autre ici qu'une communauté, ou un héritage, de culture religieuse) de la permanence de l'antisémitisme en Europe, pas seulement dans des terres traditionnelles de pogroms mais même dans le "pays des Droits de l'Homme", dont la révolution avait fait des juifs (et des protestants) des "citoyens comme les autres" en inventant une citoyenneté autonome de tout critère religieux... Ce projet, le sionisme initial est un projet national, ou nationaliste, au sens où ce qualificatif désignait dans l'Europe de la fin du XIXe siècle (l'"Etat des Juifs" de Herzl date de 1896) et du début du XXe siècle des mouvements d'émancipation nationale, transformant des populations dominées en nations revendiquant leur droit à l'autodétermination. Le projet sioniste de créer un Etat pour une "nation" proclamée par le mouvement politique qui défend ce projet, n'a rien de fondamentalement différent des autres projets nationaux du temps, sinon que la nation qu'il fait exister politiquement (une nation n'existe jamais a priori, mais seulement lorsqu'un mouvement politique la fait exister) était sans territoire, et ne se constituait pas sur une communauté de culture religieuse.
Avec l'instauration du nazisme, ce projet politique devint un projet de survie des populations juives d'Europe -celui d'un Etat-refuge. 

Au départ, donc, le sionisme est un projet de normalisation politique du "peuple juif" qu'il constitue en nation : il n'y a plus de "peuple élu", il reste une nation à construire, au même titre que les autres -sauf qu'elle n'a pas de territoire dont elle puisse dire, comme les autres peuvent le dire, qu'il est le sien. Même fondé sur la transformation d'une religion comme fait de culture en facteur de culture, en critère de définition des membres de la nation, le sionisme originel est laïque, précisément en ce qu'il transforme un fait religieux en facteur politique : ce n'est pas parce que Dieu les a élus que les juifs ont droit à l'autodétermination, c'est parce que ce droit est un droit de tous les peuples -ce qui, forcément, signifie qu'ils sont désormais un peuple comme les autres. Ni plus, ni moins. A partir de quoi, le problème est celui de la concrétisation du droit à l'autodétermination nationale -et  donc, dans un monde organisé politiquement par les Etats, le droit d'une nation à "son" Etat.
 
On résume ? On résume : le sionisme est un projet politique, le judaïsme une religion et une culture -et on peut être cultureement juif sans l'être religieusement, comme l'auteur de ces lignes est protestant sans être croyant... c'est alors affaire d'héritage, de références, de réflexes, d'habitudes, pas de foi. L'opposition à un projet politique relève du débat politique, la transformation d'une religion en race relève de l'imbécilité, puis, historiquement, d'un crime absolu. Dans un cas, on est dans l'idéologie, dans l'autre on est dans la pathologie. Le projet politique sioniste est un projet nationaliste -ni plus, ni moins soutenable ou contestable en soi (y compris par des juifs : pour Martin Buber, l'Etat est un golem) que n'importe quel autre projet nationaliste. Dès lors, faire de l'antisionisme une forme d'antisémitisme est aussi stupide que faire du sionisme une forme de racisme (ce qu'une résolution de l'ONU crut pouvoir affirmer naguère), comme si seul ce nationalisme-là pouvait sombrer dans le racisme -en fait, tous le menacent. Bref, en quelques mots comme en d'innombrables, confondre antisionisme et antisémitisme dévalorise le combat contre l'antisémitisme et le plonge dans la confusion alors qu'il devrait être net, sans confusion et sans bavure, incontestable sinon par ceux cntre qui il se mène les antisémites eux-mêmes.

On sera donc antisionistes comme le sont les anarchistes : par antinationalisme, pas par antijudaïsme. Car ce nationalisme-là ne vaut ni mieux ni pire que les autres, et un antisionisme confondant, délibérément ou non, Israéliens et juifs dans la même détestation, ne serait précisément que de l'antijudaïsme. C'est-à-dire de l'antisémitisme.
C'est plus clair, comme ça ? Bon, on peut alors se reconfiner.

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