Nouvelle "législature" municipale : Interrègne confiné


Les élections passées, leurs résultats validés, les instances politiques municipales devraient être en état de marche -celles qui terminent leur mandat le 31 mai, celles qui commencent le leur le 1er juin. Mais le 18 mars, le Conseil d'Etat avait demandé (ou plutôt imposé...) aux conseils municipaux de suspendre leurs travaux, tant en plénière qu'en commissions, et placé la gestion des affaires communales sous la seule responsabilité des exécutifs -conseils administratifs, maires et adjoints. Depuis, les Conseils municipaux trépignent, veulent se réunir à nouveau, fût-ce virtuellement, sans savoir si des décisions prises dans de telles conditions seraient juridiquement valides,  ni quelles décisions prises par eux sont réellement indispensables et ne peuvent être reportées en mai. Pendant quoi les élues et les élus dans les conseils administratifs négocient entre eux la répartition des dicastères et les partis politiques s'occupent comme ils peuvent à préparer la transition d'un délibératif en fin de course à un délibératif qui n'a pas encore prêté serment et ils alignent les fonctions comme des noix sur un bâton (qui présidera, vice-présidera, le futur Conseil municipal ? c'est le tour de quel parti ? de quelle élue ou de quel élu ? et puisqu'il paraît qu'il en faut un ou une, qui sera chef-fe du groupe parlementaire municipal ? et qui va dans quelle commission)... Etrange interrègne confiné, temps institutionnel un peu suspendu, qui devrait être propice à des réflexions sur les choix politiques fondamentaux plutôt que sur les titres et les postes, non ? 
 

Le principe du maillon faible
 


La Ville de Genève a donc retrouvé une triple majorité de gauche : au sein de l'électorat actif, au sein du Conseil municipal et au sein du Conseil administratif (dont la gauche aurait même pu obtenir la totalité des sièges si elle avait soutenu celle des deux candidatures de son aile gauche qui avait obtenu le plus de suffrages). Cette triple majorité devrait lui permettre de tirer un trait sur une "législature" nulle et non avenue, et de relever nombre de défis que les effets collatéraux de la pandémie de Covid-19 a encore radicalisés. La Ville de nombreux atouts en mains pour relever ces défis (fiscaux, sociaux, environnementaux, culturels), dont des finances solides. Le peu de pouvoir dont disposent les communes genevoises ne signifie pas qu'elles soient totalement impuissantes et parfaitement inutiles : sur le terrain, dans les rues, les parcs, les salles de spectacle, les lieux de sport, le service public est d'abord communal... 
 
Quelle est-elle, la responsabilité des politiques dans un moment comme celui que nous vivons ? Certainement pas de se prendre pour des épidémiologistes : c'est d'accorder des moyens et de "préparer l'après". De ne laisser personne de côté, et surtout pas celles et ceux qui y sont déjà et qui ont renoncé à faire usage de leur droit à une aide sociale (ils sont en Suisse entre 10 et 30 % d'ayant droit à une telle aide qui y renoncent..). De renforcer le soutien aux associations qui, sur le terrain, œuvrent à ce soutien aux plus faibles. D'améliorer les conditions de travail et de salaire de celles et ceux qu'on a "mobilisés" sur le "front" de la "guerre" contre le virus (parlons militaire, comme Macron) : travailleuses et travailleurs de la santé, de la petite enfance, des transports, du nettoyage et de la voirie, des grands magasins. De renforcer les services publics. De maintenir le tissu des PME de proximité et le tissu culturel (pas seulement les grandes institutions). De renforcer l'action sociale (y compris les aides financières), en particulier l'aide aux catégories les plus fragiles (et électoralement les moins intéressantes...) de la population (sans-papiers, sdf, travailleuses du sexe). Et  d'élargir, dans toutes ces actions, les processus démocratiques (par exemple en développant les processus de budgets participatifs). De renforcer la solidarité internationale (et d'atteindre, enfin, le 0,7 % du budget municipal). Et d'instaurer, partout où cela a un sens, la gratuité des services et des lieux. 

Tout cela, c'est bien la commune, petite ou grande qui peut le le faire -parce qu'elle est précisément là pour le faire. Et qu'elle est mieux que toute autre collectivité publique capable d'appliquer le principe du maillon faible : comme la solidité d'une chaîne équivaut à celle de son maillon le plus fragile, la force d'une collectivité tient à celle de ses membres les plus faibles -et donc à l'action qu'elle mène pour les soutenir. Même la constitution fédérale le proclame : la force d'une communauté se mesure à la manière dont elle traite les plus faibles de ses membres... Les actions prioritaires de la collectivité publique (ici, la commune), dans tous les domaines, doivent donc être menées en faveur des plus précaires, des plus pauvres, des moins protégés. Elles et eux d'abord, sans autre critère, sans autre préférence, sans discrimination d'âge, de sexe, d'origine s'agissant des personnes, ni d'importance politique, économique, sociale s'agissant des collectifs : Soutenir le Grand Théâtre ? Sans doute -mais soutenir surtout les acteurs culturels non institutionnels, non conventionnés, les petites librairies et les cinémas indépendants... soutenir les media ? Sans doute, mais les journaux indépendants, pas Ringier ou TX (Tamedia)... Soutenir le sport ? oui, mais le sport amateur... Soutenir les entreprises ? oui, mais les plus fragiles, et celles qui ne versent pas des dividendes dans le même temps où elles recourent aux caisses publiques pour mettre leur personnel au chômage partiel... 


Celui qui écrit ici est en ce moment d'entre les privilégiés : il a beau supposé faire partie, du fait de son âge, d'un "groupe à risque", il fait, pour cette même raison, partie d'un groupe sans autre incertitude que celle de son espérance de vie : son revenu (sa rente AVS) lui est garanti, quoi qu'il fasse ou ne fasse pas, et si faible qu'il soit (il le place dans le catégorie des "pauvres", à moins de 50 % du revenu moyen ou médian), il couvre ses besoins vitaux. Ce privilège, comme tout privilège, est contestable -mais il ne peut être légitimement contesté qu'en étant étendu à toutes et tous : c'est le principe même du revenu de bas, dont le gouvernement espagnol vient de décider d'instaurer une forme partielle (supplétive aux autres allocations sociales).  

La crise épidémique et les crises sociale et économique qu'elle entraîne redéfinit les priorités, pas les principes. Ceux de la solidarité, de l'égalité, de la justice sociale restent les seuls sur lesquels construire une politique de gauche, elle-même seule à justifier, à légitimer, une majorité de gauche : dès le 1er juin, celle dont Genève (et presque toutes les villes du canton) s'est dotée devra s'y tenir. Ou faillir à elle-même.

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