A pied dans Genève

Du bon usage de deux mois de "confinement"


On a mieux respiré à Genève, ces dernières semaines. Et on s'y est mieux déplacé, malgré le confinement relatif auquel nous nous sommes soumis, et la réduction de l'offre des transports publics : marcher sans entrave et se déplacer à vélo sans risque fut l'étrange privilège de ce temps suspendu... Il ne faudrait pas que le "retour à la normalité" soit le retour à une situation où personne ne peut se déplacer librement  en ville, où les déplacements à pied sont constamment entravés par des ruptures de parcours (feux piétons aux rythmes absurdes, trottoirs obstrués par des deux roues ou des voitures etc...), où les déplacements cyclistes sont dangereux, où les automobiles s'embouteillent les unes les autres et où les transports publics sont piégés dans ces embouteillages... On pourrait mettre à profit l'expérience de ces deux derniers mois pour accélérer (autre paradoxe ?) le passage à la "mobilité douce" : en Ville de Genève, la nouvelle configuration du Conseil municipal, le renforcement des Verts, la solidité du PS (et même la sensibilité de la nouvelle conseillère administrative PDC, et du Conseiller d'Etat PDC dont elle était la collaboratrice...) le laissent espérer...
 

Une période d'épreuve, mais qui donna aussi à vivre une ville plus vivable

On parle de "fluidité du trafic" en ne pensant qu'à celle du trafic automobile, alors qu'en réalité c'est celle des piétons qui devrait importer le plus. L'oubli des piétons tient à la recherche obsessionnelle de l'amélioration des flux de circulation automobile : la voirie qui leur est réservée est surdimensionnée, privilégiée au détriment de celle que peuvent sans risques ni entraves utiliser les piétons. La gestion de la circulation pose son flux comme prioritaire : les feux de circulation (et donc les feux piétons qu'il a bien fallu installer) sont conçus pour créer autant que possible des "ondes vertes" pour la circulation automobile, pas pour les déplacements piétons. Les rues secondaires (et à plus forte raison les rues primaires) ne peuvent plus combiner l'habitat, le commerce, la circulation, la déambulation et la rencontre,  et Genève est la dernière "grande" ville de Suisse, et l'une des dernières villes moyennes d'Europe, à ne pas avoir piétonnisé son centre-ville, alors même que la moitié des ménages habitant la Ville n'ont pas ou plus de voiture, et qu'une bonne partie de ceux qui en ont une ne l'utilisent pas pour se déplacer en ville. 

Genève a une configuration idéale pour développer les déplacements sans autre véhicule que ses jambes (quand on en a encore l'usage) : la ville est très concentrée, les distances entre les quartiers y sont réduites. Quant aux avantages environnementaux d'une piétonisation ambitieuse, ils ne sont guère à démontrer, pas plus que ses bénéfices pour la santé et la qualité de vie des habitants.
Comme le dernier plan piéton de la Ville de Genève date de 2004, et n'a été réalisé qu'en partie, l'ATE a récemment publié son propre plan piéton (téléchargeable sur https://www.ate-ge.ch/fileadmin/user_upload_sektion_genf/Nos_Themes/Dossiers/ATE_Plan_pieton.pdf), "pragmatique et raisonnable" puisque basé sur l'existant et la volonté de le développer pour relier tous les quartiers de la ville  (et pas seulement de son centre) les uns aux autres, et les autres communes au centre-ville, de telle manière que chaque habitant-e de Genève puisse se rendre à pied de son logement à son travail, ses lieux de loisirs et de consommation, à pied ou en combinant la marche et les transports publics.

Par ailleurs, la gauche et les associations pour la mobilité douce ont lancé à Genève une initiative populaire municipale pour la création d'une vaste zone piétonne au centre-ville, de Rive à Bel-Air et de l'Alhambra à la rue du Rhône. Aucune artère principale, de transit, ne serait concernée, puisque ces artères sont cantonales. Cette initiative accompagne le refus du même camp politique du parking de Clé-de-Rive -un parking de 900 places qui attirerait les voitures au centre-ville alors qu'il devrait s'agir de les en faire sortir et de les dissuader d'y entrer. 
Presque parallèlement à l'initiative populaire, un plan directeur de quartier a été mis en consultation avant d'être soumis au (nouveau) Conseil municipal  il concerne l’aménagement de la place de Cornavin et propose de l'interdire désormais (en surface) au voitures, d'y planter des arbres, d'y installer des terrasses de café. La place de Montbrillant, derrière la gare, serait aussi fermée au trafic automobile. Les travaux s'étaleraient sur dix ans et leur coût est estimé à 280 millions de francs, répartis entre la Confédération, le canton et la Ville.
Enfin, le Conseil d'Etat présente un plan de 96 mesures de mobilité douce, à réaliser dans les trois ans (sous réserve des inévitables recours...). Le Conseiller d'Etat Dal Busco a annoncé une enveloppe de 200 millions de francs pour financer des pistes cyclables "continues et sécurisées", prolonger la Voie Verte sur la rive-droite jusqu'au Pays de Gex et sur le rive-gauche jusqu'à Bernex. En Ville et en collaboration avec elle, des voies cyclables continues devraient rejoindre Cornavin aux Eaux-Vives, à Uni-Mail et à l'Hôpital. Les vélos seront autorisés à tourner à droite à certains carrefours où ils ne le sont pas encore. Un plan certainement judicieux mais bien trop prudent (on ne supprime pas de voies de circulation des bagnoles pour les affecter aux vélos) et encore bien peu cohérent (les cyclistes seront toujours contraints de zigzaguer dans des petites rues pour éviter les grands axes). Reste évidemment à le réaliser, ce plan : le précédent du même jour ne l'a été qu'à 29 %, alors que comme le relève le Conseiller d'Etat, "les gens sont prêts (aux changements proposés) si les infrastructures sont au rendez-vous"... Reste la ratification par les parlements de ces choix. Celui de la Ville, sans doute y est désormais prêt. Et celui du canton ?


On ferait ainsi un bon usage de ce qui fut pour beaucoup une période d'épreuve, mais qui donna aussi à vivre une ville plus vivable, lors même qu'on était incité à y vivre un peu plus petitement, au ralenti. Qui déjà disait que d'"un mal peut sortir un bien" ? Un piéton, sûrement...

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