Fin de "législature" municipale genevoise : Cohérence de la foirade



La "législature" municipale genevoise se clôt donc comme elle a commencé et s'est poursuivie pendant cinq ans : dans la foirade. Le Conseil municipal de la capitale mondiale du monde mondial avait déjà produit une quarantaine de décisions annulées ou dévaluées par le bailli cantonal (à chaque fois pour des raisons formelles, puisque prises sans vérifier si elles étaient conformes au cadre légal...), il achève son mandat en bouquet final avec une session entière annulée avant même d'avoir pu commencer. Chapeau ! Chapeau du bailli, même, comme dans Guillaume Tell. D'ailleurs, il conviendra, pour la "législature" qui va s'ouvrir, de placer à l'entrée de la salle des séances un grand portrait du Conseiller d'Etat en charge des bailliages communaux, afin que nous ne puissions entrer dans les lieux de nos (d)ébats qu'en passant, humbles, sous lui. Il eût été en effet navrant qu'en ces temps de confinement, le respect de l'autorité se perdît. 


Vive la Commune, et merde aux Versaillais !
 
D'abord il y a le ton, comminatoire, de la décision cantonale d'interdire la réunion du Conseil municipal de la Ville : ce n'est pas la demande d'une instance à une autre, d'un gouvernement à un parlement, d'un canton à une commune, c'est la sommation d'un Bailli : si vous siégez quand même nous vous l'interdisons, "nous suspendrons immédiatement les débats". Menaces à l'appui : "quiconque s'oppose" aux mesures visées par l'ordonnance fédérale telle que le Bailli l'interprète, commet un délit "puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus d'une peine pécuniaire". Il aurait certes été amusant que le Conseil municipal décidât de ne pas tenir compte de l'injonction du Conseiller d'Etat : on se serait retrouvés des dizaines à Champ-Dollon après une intervention musclée des forces antiémeutes... mais ne rêvons pas : si haute que soit l'idée que nous nous faisons de notre rôle et de notre mandat, on doit pouvoir compter sur une seule main celles et ceux qui auraient pris le risque de se retrouver dans une position simonbrandtesque... la commune de Genève, hélas, n'est pas la Commune de Paris...


Le ton de la missive à lui seul justifie donc qu'on la qualifiât d'"ultimatum grotesque". Mais il y a aussi le fond. Sans doute le bureau du Conseil municipal aurait-il pu faire l'économie de quatre des six séances auquel nous étions convoqués. Et sans doute aussi un tri aurait-il dû être fait dans l'ordre du jour... mais ne pas l'avoir fait suffit-il comme motif d'interdiction de ces séances ? Ou ne s'agit-il après tout qu'un prétexte, au même titre que la référence aux mesures de protection (elles eussent été les mêmes que pour une séance, autorisée, du Grand Conseil, dans une salle s'y prêtant parfaitement) ? Le Grand Conseil peut en effet siéger, dans le même contexte sanitaire et le même contexte légal (l’Ordonnance 2 COVID-19) que celui dans lequel se seraient tenues les séances prévues du Conseil municipal...  Les séances des autorités délibératives communales sont certes des manifestations publiques au sens de  l’ordonnance, mais au même titre que celles du Grand Conseil (et de tout autre parlement cantonal et du parlement fédéral)... on ne va tout de même pas traiter autrement un parlement communal passé à gauche et un parlement canton ou fédéral resté à droite... si ? 

Le Conseiller d'Etat explique que "force est de constater que les objets portés à l'ordre du jour (des séances prévues du Conseil municipal) ne présentent pas un caractère urgent et ne relèvent pas d'un intérêt public qui primerait sur la santé". Mais qui juge du caractère "urgent" d'une décision à prendre, sinon celles et ceux qui sont appelés à la prendre ? Et de quel droit (supérieur, sans nul doute, un Conseiller d'Etat peut-il décider que, par exemple, répondre aux pétitions des citoyens (c'était ce que le Conseil municipal avait l'intention de faire) n'a rien d'urgent, qu'ils doivent attendre le bon vouloir des zautorités cantonales pour qu'on leur réponde quand c'e3st au Conseil municipal qu'ils se sont adressés ?

Quant à "l'intérêt public" (ou non) d'une réunion du Conseil municipal, qu'il faudrait démontrer à qui s'en affirme le vérificateur, est-il moins notable que celui de l'ouverture des aires de jeu dans les écoles, des bistrots, du terrain  de pétanque de la Plaine, de ceux de tennis et de badminton du Bois-des-Frères?  un parlement fût-il municipal, serait donc de moins d'importance qu'un toboggan, une partie de pétanque ou un bistrot. Et forcément moins encore qu'un musée -où il conviendrait d'ailleurs de le remiser... Soit. Et un processus démocratique serait de moins d'intérêt public qu'une activité commerciale. Dont acte.

Il y a cependant  dans les justifications  de la décision du Conseil d'Etat d'interdire, dans un premier temps, les séances du Conseil municipal de Genève avant éventuellement de les ré-autoriser, si l'ordre du jour convient au Bailli) une assimilation éminemment honorable : celle de la réunion de ce Conseil municipal (surtout de celui-là...) à une manifestation interdite...on saluera avec ferveur ce  jubilatoire retour aux sources historiques d'une commune créée par une révolution (française) et rétablie par une autre (genevoise). L'étymologie même conforte notre jubilation: la commune est une mise en commun, le canton n'est qu'une subdivision... et si la subdivision interdit la mise en commun, c'est bien que, "quelque part", la mise en commun a encore un petit quelque chose de subversif... bah, disons au moins de dérangeant... 


Vive la Commune, et merde aux Versaillais !



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