Quand la pandémie a fait revenir la politique


C'était donc possible...

La crise pandémique a été marquée par un retour fracassant : celui du politique. On sortait de décennies de souveraineté de l'économique, de dépolitisation des débats, de substitution du sociétal au social -et voilà que reviennent les contradictions politiques majeures, et les contradictions de classe. Et l'urgence des choix, entre la poursuite d'un libéralisme réduit au libre-échange des marchandises et au "libre jeu du marché", une social-démocratie keynésienne, un despotisme orwellien (version chinoise)... et une rupture créatrice "écosocialiste"...  Répondant à l'épidémie, les Etats, les régions, les communes ont volontairement rompu avec le productivisme et le consumérisme pour sauver des vies. Et du coup, ont soulagé, pour quelques moins, l'environnement de tout ce qui le dégradait du fait des activités humaines : en 2019, sept millions de personnes sont mortes prématurément du fait de la pollution... mais pour le seul mois d'avril 2020, la chute de l'activité économique a provoqué une chute de la pollution qui, selon certaines estimations, aurait évité 10'000 morts prématurées... La politique de rupture que prônaient les décroissants a été mise en œuvre par les puissances publiques qui y étaient, foncièrement, opposées. C'était donc possible, jusque dans les détails -comme la création à Genève en quelques jours d'une dizaine de kilomètres de bandes cyclables qu'on attendait depuis dix ans... Mais tout ayant une fin, la question se pose quel air respirera-t-on lorsqu'on enlèvera nos masques ? 


Il pleut des milliards... à quoi les utiliser ? à une relance ou à un changement ?


Les milliards pleuvent pour qu'on en revienne au joli temps d'avant. Comme l'écrit Anne-Catherine Ménétrey-Savary dans "le Courrier", celles et ceux qui se sont battus pendant des années pour quelques millions à accorder à des projets sociaux, culturels, de mobilité, de solidarité "en sont restés pantois" : ce que des années de combat n'ont même pas toujours réussi à obtenir (le 0,7 % en faveur de l'aide au développement, par exemple), quelques semaines de pandémie l'ont obtenu au carré, les centaines de milliers de francs devenant des centaines de millions, les millions des milliards, des dizaines, des centaines de milliards,  pour sauver l'ancien monde. Et on entend  les forces qui naguère hurlaient à la mort quand la dette augmentait et que les déficits se creusaient expliquer désormais que la dette n'est pas un problème (la Suisse s'endette en ce moment à taux zéro, autrement dit la dette ne coûte rien, voire à taux négatifs, autrement dit elle rapporte...) et les déficits non plus... sauf évidemment quand il s'agit de répondre à une urgence sociale en faveur des sous-prolétaires, des invisibles, de la Cour des Miracles des Vernets :  Le président de Caritas demandait un milliard pour la population, il ne l'a pas obtenu. Mais Swiss en a obtenu le double. Et Macron et Merkel proposent à l'Union Européenne la création d'un fonds de relance de 500 milliards d'euros, financé par un emprunt garanti par les Etats membres, c'est-à-dire une dette "mutualisée" entre tous les Etats de l'Union, une méthode que l'Allemagne avait jusqu'alors refusée (lors même que la Banque centrale européenne possède plus de 2600 milliards d'euros de dette publique). 

On s'achemine donc, si on n'y met bon désordre, vers le retour à l'ancien monde, au prix de milliers de milliards de dollars, d'euros, de francs suisses. Jusqu'à la prochaine crise, la prochaine pandémie, la prochaine grande guerre, puisque cet ancien monde est précisément celui qui a favorisé les pandémies, provoqué les crises, déclenché les guerres. Le "nouvel ancien monde" ne différerait de son prédécesseur que par sa capacité de contrôle social, grâce à la technologie. L'alternative, quelle est-elle ? elle suppose, comme préalable autant que comme conséquence, une transformation radicale de l'économie : sa réorientation vers la satisfaction des besoins fondamentaux. Mais aussi une transformation tout aussi radicale de la société, et d'abord du travail : la réduction du temps qui lui est consacré, de la hiérarchie qui pèse sur lui, du rapport entre les décideurs et les exécutants. Et enfin, un changement, aussi radical que les précédents, de la manière dont les sociétés humaines s'inscrivent dans le cadre naturel de la planète : un autre urbanisme, l'arrêt de la déforestation, des cultures extensives et des pêches intensives, des élevages industriels. Et si l'on veut éviter d'en appeler à une dictature éclairée, qui si éclairée qu'elle soit ou se croie resterait une dictature, c'est la démocratie elle-même qui a besoin d'un changement : il faut démocratiser la démocratie, la renforcer au niveau local, l'élargir à tous les niveaux aux catégories de la population qui en sont exclues, ou s'en excluent elles-mêmes. 

Vaste programme, n'est-il pas ? Certes. Et coûteux ? Certes. Mais les milliers de milliards de dollars, d'euros, de francs suisses qu'on va balancer pour sauver l'ancien monde suffiraient amplement à l'accouchement du nouveau...

Commentaires

Articles les plus consultés