Retour à l'âne normal

Fin du mois contre fin  du monde, comme d'hab'



Donc, on déconfine. On n'était pas vraiment confinés, sauf quand on était hospitalisé, en prison ou en ems, mais peu importe : on déconfine quand même. Et ce à quoi il va falloir résister maintenant, c'est à la furieuse envie de tirer un trait sur l'épisode covidien, et d'en revenir au statu quo ante. Cette envie d'un retour à l'anormal, le monde d'avant, le monde de l'insouciance climatique, sociale, politique, économique, repose en apparence sur d'assez solides arguments :  le réchauffement climatique ? oui, bien sûr il va se poursuivre, la lutte contre la pandémie n'a été qu'un répit, le temps (que le Centre patronal vaudois nous enjoint d'oublier au plus vite) d'entendre les oiseaux en ville et de moins saloper l'environnement, mais l'urgence climatique, c'est du long terme. Le court terme c'est  l'économie, le chômage. La fin du mois contre la fin du monde, comme d'hab...  Comme dit encore le Centre patronal vaudois, "il faut que l'économie reprenne ses droits". Mais quels droits a-t-elle, "l'économie" ? Aucun, si on admet qu'elle n'est que l'organisation de la subsistance collective des sociétés humaines (subsistance à laquelle se sont, progressivement, ajoutés les droits fondamentaux que proclament aujourd'hui les grands textes du droit international et des constitutions démocratiques). L'économie n'a pas de "droits", elle n'a que ce devoir là : permettre, à toutes et tous, de se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir, se déplacer (pas forcément en bagnole ou en avion), s'informer, se cultiver, se délasser. "Ce qui m'a atterré, c'est d'apprendre qu'il fallait qu'on s'adapte pour relancer l'économie. Normalement, ce devrait être le contraire", soupire Zep dans la "Tribune" d'hier. L'économie est au service de la population, pas le contraire -c'est la population qu'il faut soutenir d'abord, pas l'économie. La population, c'est-à-dire des personnes réelles. La population, c'est-à-dire la société -la société entière, y compris cette part d'elle que constituent les personnes et les tâches qu'en temps "normaux" elle préfère ignorer. 


Il y en a à qui le virus ne s'est attaqué que pour leur faire des couilles en or

L'économiste en cheffe du groupe Indosuez l'assure : "la reprise sera longue à venir". La reprise de quoi ? de l'"économie" ? mais de laquelle ? toute "l'économie" ne s'est pas si mal portée de la coronapandémie, et il y en à qui le virus ne s'est attaqué que pour leur faire des couilles en or : les GAFAM, les géants de l'internet (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Microsoft a vu ses bénéfices augmenter de 22,8 % entre le premier trimestre 2019 et le premier trimestre 2020 et atteindre 10,8 milliards de dollars US, et Facebook a fait encore mieux : 100 % d'augmentation (5 milliards de bénéfices), alors que leurs cotes en bourse plongeaient (avec la bourse elle-même). Il est vrai que ces monstres se sont rendus indispensables en période de confinement : Amazon a suppléé aux commerces fermés , et son chiffre d'affaire a bondi de 26 % pour atteindre 75,5 milliards... Cette manne leur a permis de jouer les philanthropes : Google et Facebook ont cartographié le virus, Google a ouvert des centres de dépistage, Amazon a engagé 175'000 personnes aux USA, Google et Apple ont développé un système commun de traçage du virus... Pour le reste, Indosuez prévoit un recul de 3 % du PIB mondial et l'OMC une baisse du commerce international de 12 à 32 % en 2020 par rapport à 2019... mais quel  commerce va baisser ? le commerce de quoi ?  la Suisse veut acheter des avions de combat pour des milliards de francs...  Sans doute indispensables pour combattre un virus... "Peut-être assisterons-nous à l'apparition d'un "capitalisme étatisé" utilisant la puissance publique pour reconstruire l'économie et restaurer le pouvoir du capital", écrit dans "Le Monde Diplomatique" de mai la philosophe Chantal Mouffe. Son "peut-être" est réjouissant d'optimisme : à Genève, le 20 mars, dénonce le syndicat S IT, une entreprise de nettoyage annonce à ses employés qu'une partie d'entre eux sont licenciés à cause de la pandémie. Et dix jours plus tard, la même société fait une demande de chômage technique, c'est-à-dire d'une aide publique visant à éviter les licenciements... 
 
Revenons à nos moutons, nos pénates et nos foyers : Sans doute le confinement physique est-il totalement contradictoire du comportement "normal" dans nos sociétés -mais on parle bien ici du confinement physique, parce qu'il en est d'autres, plus pervers : On peut courir de son lieu de domicile à son lieu de travail, du lieu de stationnement de sa bagnole à son lieu de rendez-vous ou de consommation, d'un rite social à un autre, tout en restant confiné dans un rôle social, un dogme idéologique ou religieux, une activité professionnelle... et le déconfinement, après tout, pourrait bien n'être qu'un retour à l'âne normal : celui qui brait quand on le prive de son fitness ou de sa teuf. 


Qu'Aliboron nous pardonne ce jeu de mots hasardeux : c'est moins de lui qu'on ricane que du mouton de Panurge.

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