Le Conseil municipal de la Ville vote un crédit de 6,9 millions pour l'hébergement d'urgence...

 

"Zéro sans abris"

 

Un crédit exceptionnel de 6’879’505 francs pour l'hébergement d'urgence a été voté "sur le siège" (sans passage en commission) lundi soir par une très nette majorité du Conseil municipal de la Ville de Genève (seule l'UDC a voté contre). Le Conseil a ainsi suivi une proposition de la Conseillère administrative socialiste Christina Kitsos de prolonger durant l’été le dispositif d’urgence provisoire pour l’accueil des personnes sans-abri dans la caserne des Vernets. Pour Christina Kitsos, « il était fondamental de répondre à l’urgence sociale et de diminuer le risque de foyers infectieux en continuant d’accueillir les personnes sans-abri. En parallèle, il s’agit de trouver des solutions pérennes et en surface avec les communes, l’Etat et les associations ; le logement étant la condition préalable à toute réinsertion sociale. » Le  vote à plus des deux tiers du plénum de la clause d’urgence, qui soustrait ce crédit au référendum,  est le signe de la prise de conscience du Conseil municipal de l'urgence d'apporter une réponse concrète à l'aggravation de la précarisation d'une part croissante de la population. Le crédit voté a été assorti, par un amendement des Verts, d'une demande de partage des responsabilités et des charges de l'hébergement des sans abris entre la Ville, les autres communes... et le canton, l'objectif de la Ville étant celui de "zéro sans abris". Un objectif ambitieux, si la Ville devait le poursuivre seule, même à force précisément d'assumer à peu près seule l'hébergement des sans abri, et donc des plus pauvres d'entre les pauvres, la Ville est porteuse, dans le soutien aux plus précaires, d'une expérience dont ni le canton ni les autres communes ne disposent -le canton ayant même trouvé le moyen de perturber les premières distributions de nourriture en s'en prenant aux bénévoles de la Caravane de la Solidarité. 
 

Le "filet social" : un vieux filet plein de trous


Le Centre social protestant, Caritas, la Communauté Genevoise d'action syndicale et la vingtaine d'autres organisations et associations de l,a "Plate-forme pour une sortie de crise sans exclusive" pressent le Grand Conseil d'accepter la demande du Conseil d'Êtat de traiter en urgence le projet de loi créant un fonds de 15 millions de francs pour l'indemnisation (plafonnée et temporaire>) des travailleuses et travailleurs précaires ne recevant aucune aide publique, malgré les promesses du Conseil fédéral (Alain Berset avait assuré que la Confédération n'oublierait personne). Le projet de Thierry Apothéloz, élaboré avec les syndicats, les organisations patronales et les associations d'entraide, permettrait précisément de suppléer aux défaillances de la Confédération (comme le crédit voté par le Conseil municipal de la Ville permettra de suppléer aux défaillances du canton dans l'hébergement des sans-abri...). Le Grand Conseil avait voté à la quasi unanimité l'octroi d'une subvention extraordinaire de 5 millions pour soutenir la Fondation Partage et la Banque alimentaire afin d'assurer la distribution d'une aide alimentaire à celles et ceux qui en ont besoin, mais la droite (PLR, UDC, PDC et MCG) avait  refusé de voter "sur le siège" le projet de Thierry Apothéloz, d'ouvrir un droit à l'aide sociale (sans condition de statut légal, pour que puissent en bénéficier celles et ceux qui n'y ont pas droit faute de permis de séjour, de résidence ou de travail, ou pour des raisons liées à la forme de leur travail) et qui ont perdu leur revenu pendant la période de semi-confinement. Vous avez dit "urgence sociale" ? Mais keske ça veut dire ? Ah oui : sauver le Salon de l'Auto. Parce que ça, la majorité du parlement genevois l'a voté... Pour presque 18 millions...Plus que ce que Thierry Apothéloz propose au Grand Conseil, deux fois et demi ce que Christina Kitsos a obtenu du Conseil municipal... et quinze fois ce que les associations et organisations d'entraide ont assumé au plus fort de la crise.


Fin août, le dispositif d'accueil des sans-abri installé dans la caserne des Vernets fermera ses portes, le terrain devant être affecté à la construction de 1500 logements par le canton.  Le dispositif avait permis d'héberger 250 personnes (des hommes) en pleine pandémie, sans qu'aucun ne décède, alors que le taux de prévalence du virus chez les personnes précaires atteint le triple, voire le quart, de celui de l'ensemble de la population. Mais sa fermeture oblige à recréer des lieux d'hébergement, puisque le dispositif normal d'accueil d'urgence ne sera activé que douze heures sur vingt-quatre, et que les clubs sociaux et les lieux d'accueil de jour devront assurer les douze heures de jour. La Conseillère administrative Christina Kitsos,  qui a obtenu du Conseil municipal un crédit de 6,9 millions de francs pour couvrir les dépenses engagées pendant la pandémie et assurer le "retour à l'ordinaire" voudrait aller au-delà de cet "ordinaire" "éviter de reloger ce personnes sous-terre" et veut trouver des solutions en surface, avec les autres communes et le canton, ne serait-ce que pour pouvoir travailler avec  les sans-logis à leur réinsertion ("il faut un toit pour pouvoir envisager des projets d'avenir"). A quoi s'ajoute un appel à projet pour la mise sur pied d'un accueil des femmes qui ont perdu leur logement du fait de la crise.
 
Le "filet social" est un vieux filet : il date du siècle dernier, de l'entre-deux-guerres et de l'après-guerre, quand on a, en Suisse, abandonné le principe selon lequel le secours social était une tâche de la commune d'origine de la personne à secourir, même si elle n'y avait jamais mis les pieds, et non de la commune ou du canton de résidence effective, ce qui autorisait les déplacements forcés de la commune de résidence à la commune d'origine. De plus, le droit à une aide sociale ne relevant pas de la charité a été très longtemps (jusqu'en 1995) réservé aux seuls ressortissants suisses. Et encore aujourd'hui accéder à ce droit reste impossible aux personnes sans statut légal, et porteur pour les étrangers sans permis de résidence (les permis B) du risque de perte de leur permis de séjour. Le vieux filet, construit pour les salariés à plein temps au statut garanti, se retrouve ainsi plein de trous : rien qu'à Genève, entre 1500 et 3000 personnes adultes ont perdu tout ou partie de leur revenu après les mesures prises pour enrayer la pandémie, sans aucun revenu compensatoire : ni chômage partiel, ni aide telle que celles accordées aux travailleurs et travailleuses payées à l'heure, aux indépendantes et indépendants, aux chefs d'entreprises.


Il y a trois Genève : celle qui gagne, très minoritaire. Celle qui rame pour continuer à avancer et rester à flot, largement majoritaire, et celle, de plus en plus nombreuse, qui sombre. Sous nos yeux -et sous les yeux de ceux qui chipotent sur les procédures d'examen d'un projet de loi permettant d'aider ces naufragés du covid, ou sur le partage de la tâche d'assurer un toit à tous les habitants de ce canton. Depuis 20 ans, la Ville de Genève proclame vouloir atteindre l'objectif "zéro sans abris" et n'y arrive pas. Parce qu'elle est pratiquement seule dans le canton à ouvrir des lieux d'accueil des personnes sans toit, dont le nombre augmente sans cesse. Le dispositif mis en place ne cesse pourtant de s'étoffer, lui aussi. Mais on ne sait toujours pas si l'objectif "zéro sans abris" pourra être atteint. Ni si celui de partager la charge de l'accueil des plus précarisés entre toutes les communes (plutôt que de reposer sur une seule d'entre elle) ne relève pas du rêve éveillé. Ce qu'on sait, par contre, c'est que les milliers de personnes faisant la queue pour obtenir un petit sac de nourriture aux Vernets puis dans des lieux décentralisés, ne sont pas un cauchemar, mais une réalité. Les réponses que lui donne la Ville et que devraient lui donner le canton et les autres communes sont des réponses urgentes à une urgence : le temps viendra, et on souhaite qu'il vienne le plus vite possible, de réponses plus profondes, plus durables, plus structurelles : le revenu universel, la régularisation des sans-statuts.

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