Mobilité : C'est parti comme en 14


Guéguerre de tranchées

Un peu partout dans le monde (et donc, forcément, à  Genève, qui en est la capitale), dès les premières mesures de déconfinement, il est apparu nécessaire, d'abord pour des raisons sanitaires, puis pour des raisons de partage de l'espace public -et de réduction de l'emprise de l'automobile sur les voies de circulation, et enfin pour réduire les émissions de CO2, de développer à la fois les voies réservées aux vélos et les espaces réservés aux piétons. "Ne laissons pas la voiture reprend la place" qu'elle occupait avant la crise, plaide la ministre française de la "transition économique et solidaire", Elisabeth Borne. A Genève, le canton et la Ville, sous l'impulsion conjointe du Conseiller d'Etat PDC Serge Dal Busco et du Conseiller administratif de SolidaritéS Rémy Pagani, ont saisi l'occasion pour pratiquer ce qui était plutôt l'apanage des militants de la mobilité douce : un "urbanisme tactique" consistant à profiter de la libération d'un espace pour l'affecter à autre chose que ce à quoi il était voué. Ainsi sont nées des bandes cyclables prises sur les voies de circulation automobile et les places de stationnement des bagnoles. C'était pragmatique, opportun, et intelligent. Mais ces aménagements ont été placés sur fonds de polémique hargneuse. Parce qu'on est à Genève. Et qu'on a beau être la capitale mondiale du monde mondial, on a des traditions, des réflexes, une normalité quoi, à laquelle on ne va pas renoncer sous le futile prétexte qu'on sort d'une pandémie. Il est bon que dans un monde instable des permanences résistent, et rassurent. Comme une bonne vieille guerre de tranchées entre bagnolomaniaques et "cycloterroristes" (et on a choisi notre camp...)

Marchons, marchons, qu'un air plus pur, abreuve nos poumons... 
 
A Genève, les automobilistes addicts et leurs représentants politiques et associatifs hurlent à la mort (de la liberté, de la mobilité, du commerce et de la Genève internationale, pour le moins) après la suppression temporaire (mais prolongeable), pour en faire des pistes cyclables, de voies de circulation auparavant réservées à la bagnole. Pas content du traçage de voies cyclables provisoires en ville de Genève, le directeur de la Chambre de commerce et député (PLR, forcément...) Vincent Subilia râle qu'on "érige à nouveau les automobilistes en parents pauvres de la mobilité"... il tient vraiment à ce qu'on compare les emprises respectives de la bagnole et du vélo sur l'espace public, avec ou sans les pistes provisoires ? Et l'inévitable (quoique...) Christhihan Lüscher de geindre : "On crache à la figure de celles et ceux qui utilisent les transports individuels"... Quelqu'un pourrait rappeler à la Luche que le vélo est un moyen de transport individuel ? Et que ce ne sont pas les vélos, les piétons ou les trams qui embouteillent les bagnoles, mais d'autres bagnoles ? Nous, cycloterroristes (et  peripaterroristes) sectaires, sommes d'ailleurs prêts à soutenir pour ceux qui ne peuvent se déplacer autrement qu'en bagnole la création de nouvelles voies de circulation : en les prenant sur les places de stationnement... D'ailleurs, un autre PLR  répond à Lüscher et Subilia, l'ancien président du parti, Alexandre de Senarclens, qui rappelle que "la chaussée n'est pas extensible à merci", que développer la mobilité douce peut impliquer la réduction des voies affectées aux bagnoles. Et que "celui qui abandonne sa voiture pour le vélo" laisse la place qu'il prenait à celles et ceux qui ont besoin de leur voiture, ces 15 % d'automobilistes contraints, parce qu'ils ne sont pas en état physique de se déplacer à pied ou à vélo, parce qu'ils se déplacent sur des parcours trop longs pour être faits à pied, ou trop dangereux pour être faits à vélo ou mal desservis (ou hors des horaires de service) par les transports publics, ou que leur profession même (taxis, livreurs, soignants) impose l'usage de l'automobile...
 
Le Conseiller d'Etat Dal Busco et le Conseiller administratif Pagani ne se sont pas réveillés un matin avec l'envie subite d'emmerder les automobilistes : ils ont décidé de profiter de la fin du confinement provoqué par la coronapandémie pour concrétiser un vote populaire vieux de neuf ans, celui sur l'initiative pour la mobilité douce*. Et ils s'inscrivent dans une évolution constatée dans toute l'Europe, et que l'économiste Frédéric Heran résume en plaidant pour une hiérarchisation rationnelle des modes de déplacement en ville : privilégier la marche (et donc les parcours et les espaces piétons), puis le vélo, puis les transports publics, et seulement enfin, pour les personnes, les usages, les parcours et les moments où elle est le seul mode utilisable, l'automobile. 
La marche d'abord, donc. Parce qu'elle est le mode de déplacement normal, naturel, premier, et toujours  le plus simple, le plus sain, le plus économique, de l'individu humain.  L'espèce humaine est une espèce marcheuse. Elle s'est répandue en marchant sur quatre des six continent (l'Afrique, l'Eurasie, les deux Amériques), n'a atteint le cinquième (l'Australie), le sixième (l'Antarctique) et les îles qu'en ayant atteint auparavant les côtes, toujours en marchant. La Ville et le canton ne se sont d'ailleurs pas contentés de tracer de nouvelles bandes cyclables, elle et il ont aussi  fait passer (toujours pour deux mois, renouvelables...) une dizaines de rues ou de tronçons de rue en "zone de rencontre" (les voitures peuvent y passer, mais pas à plus de 20 km/h, et priorité est toujours donnée aux piétons). Des places de parking disparaissent au profit de terrasses de café, le quai des Bergues et la place de la Synagogue deviennent des zones piétonnes, les feux de circulation d'une quinzaine de carrefours deviennent clignotants pour réduire le temps d'attente aux passages piétons. On attend donc la dénonciation des peripaterroristes, après celle des cycloterroristes.


Marchons, marchons, qu'un air plus pur abreuve nos poumons... 

*vous pouvez faire vous-même votre propre rue de l'après-déconfinement sur thttps://streetmix.net/-/1175631)

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