On peut donc vider les prisons...


Champ Dolent


Il y eut confinement dans le confinement : pendant deux ou trois mois, les 7000 détenus des prisons suisses ont vu leurs contacts avec le monde "extérieur" encore raréfiés au nom de l'urgence sanitaire : suspension des visites, des congés, des activité sportives, des ateliers, des cours (avec des différences selon les établissements) et les prisonniers devaient donc rester plus longtemps enfermés dans leurs cellules. Les prisons, il est vrai, risquaient d'être des "clusters" ravageurs. Certains cantons, comme Genève, ont en outre fait sortir de prison une partie des détenus (une centaine sont ainsi sortis de Champ-Dollon, la prison la plus surpeuplée de Suisse), en les faisant bénéficier de mesures alternatives à la détention : assignation à résidence (confinement "normal", en somme), bracelet électronique, obligation de signature, ou en renonçant à incarcérer les condamnés à des peines légères. Il est donc possible de vider les prisons, du moins en partie. Merci, camarade coronavirus, d'avoir sans doute d'avoir lu Foucault et Livrozet. en attendant sur une chauve-souris récidiviste d'être embarqué sur un pangolin, libertaire.


"Celui qui ouvre une prison doit savoir qu'on ne la fermera plus"
 
Bonne nouvelle, donc : Champ-Dollon peut se vider. Bon, pas complètement, mais quand même, on est passé, pour 398 places, de 634 détenus  le 1er mars à 545 le 1er avril et 496 le 5 mai. A l'été 2014, on y avait entassé 900 détenus... Merci qui ? Merci le pangolin : en février, 163 détenus entraient à CD, 105 en mars, 78 en avril. Moins que le nombre de membres du Conseil municipal de la Ville qui auraient pu y entrer s'il s'était réuni contre l'avis du Bailli. Pour alléger la charge de la prison la plus surpeuplée de Suisse, le coronavirus a été relayé par la police et le Ministère public : la première a moins arrêté, le second lancé moins de procédure, depuis le début de la crise sanitaire : Jornot avait demandé à la police de se concentrer sur les délinquants faisant courir un risque à la société. Unpeu tard pour Simon Brandt... Nous aussi, d'ailleurs : on ne saurait trop recommander au Procureur général de s'en tenir définitivement à cette ligne empirique et rationnelle. Résultat : il y avait eu 451 arrestations en février, 264 en mars, 188 en avril...  les procédures liées à des cambriolages ont diminué de moitié (évidemment, les gens étaient chez eux, ça freine les envies malandrines), celles liées au trafic de stup, à l'immigration illégale et au travail au noir ont également diminué. 

On réagira comme l'avocat Robert Assaël : « il a fallu cette dramatique pandémie pour arriver à cette occupation presque acceptable » de la prison genevoise. La ligue des droits de l'Homme, qui regrette que «les autorités se sont contentées de prendre des mesures qui devraient être ordinaires», ne dit pas autre chose, dans «Le Courrier» : on peut donc arrêter moins, emprisonner moins, libérer davantage, mieux utiliser les peines de substitution.  Et donc entasser moins. C'est-à-dire confiner moins. Parce que la surincarcération de la population est non seulement inutile, mais surtout inacceptable, particulièrement dans le contexte d'une pandémie. Parce qu'ils sont évidemment confinés, les détenus, par définition, et que les distances de sécurité, faudra qu'on explique comment les respecter quand on est quatre ou six dans une cellule, et quand il faut se mutiner pour être seul dans sa geôle : au mitard... Enfin, à quelque chose pandémie est bonne : même insuffisantes, transitoires, dictées par l'urgence, les mesures prises pour décharger (un peu) la prison ont un mérite, que relève encore la Ligue des droits de l'Homme : elles suffisent "à mettre en évidence l'inutilité des projets pénitentiaires pharaoniques initiés par le Conseiller d'Etat Pierre Maudet et dont le Grand Conseil, fort heureusement, comprend le caractère pour le moins démesuré".

Faire de Genève le canton de Suisse, et l'une des régions d'Europe, où la plus forte proportion de la population est engeôlée, est sans doute le projet politique le plus absurde que l'on puisse défendre. Et l'héritage le plus navrant que l'on puisse laisser. Car "celui qui ouvre une prison doit savoir qu'on ne la fermera plus" (Marc Twain) sauf, évidemment, si on la remplace par une autre, si possible , plus grande, persuadé que l'on est, comme Pierre Maudet, que "de la capacité d'incarcérer résulte la crédibilité de l'Etat de droit. Ainsi, c'est le nombre de détenus qui a défini la capacité carcérale, et non l'inverse". Sauf évidemment si un virus importun conduit au raisonnement inverse.

... entre Twain et Maudet, choisis ton camp, camarade...

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