Un "nouveau" parti pour la "gauche de la gauche" ?


La nostalgie, camarades...


Ah, les années septante du gauchisme scissipare, avec ses dizaines de groupes concurrents et parfois adversaires (pour finir par devenir franchement ennemis), les maos d'un côté, les troskos dans un autre, mais tous s'attelant à créer le futur grand parti d'avant-garde de la classe ouvrière -on n'aura évidemment garde d'oublier le Parti du Travail dans son pré carré, et les anars partout et nulle part à la fois, comme d'hab'... Alors, une grosse bouffée de douce nostalgie nous a submergé en apprenant qu'un groupe de membres de SolidaritéS proposait de dissoudre la formation de la "gauchedelagauche" (en un mot) au profit d'une nouvelle formation, un "parti unique" (ses partisans mesurent-ils le poids symbolique d'une telle expression ?) de la "gauchedelagauche" (toujours en un mot) mieux implanté dans les quartiers et les couches populaires. Comme si dans l'espace politique se situant lui-même à la gauche du PS et des Verts, un "parti unique" était concevable. Comme si toutes les formations présentes dans cet espace allaient en rangs serrés se fondre dans ce "parti unique". Et comme si cette tentative de le créer était la première du genre et que, si même elle aboutissait, elle allait renouveler en quoi que ce soit le paysage de la gauche, ne fût-elle que de la gauche -et que genevoise.
 
La vieille maison et le pavillon de banlieue


Nous voilà donc avec le projet de créer un "Parti populaire de gauche" à Genève, faisant du passé (l'alliance "Ensemble à gauche", qui il est vrai ne réunit plus que SolidaritéS et le DAL, sous la férule de SolidaritéS) table rase... Ses initiants ont d'ailleurs raison de préciser "de gauche", parce que des "partis populaires" de droite, voire d'extrême-droite, les exemples foisonnent, du parti populaire espagnol, franchement à droite, au Parti populaire français de Doriot, carrément à l'extrême-droite, en passant par le Parti populaire genevois qu'avait tenté de créer l'ex-MCG Pascal Spühler, qui trouvait que le MCG était trop à gauche... Un nouveau parti de gauche, donc,. Comme il nous en arrive au moins un par génération : le PS à la fin du XIXe siècle, le PC en 1918, la Fédération socialiste suisse en 1939, le Parti du Travail en 1943, la Ligue Marxiste révolutionnaire (et les groupes maos) dès la fin des années soixante, laquelle se transforme en Parti socialiste ouvrier, lequel se fond dans SolidaritéS... qui devrait donc se fondre dans le "Parti populaire de gauche", mais ne semble guère en avoir une furieuse envie. SolidaritéS, il est vrai, avait été un succès, au moment de sa création. Comme d'ailleurs l'avait été la création de l'"Alliance de gauche", devenue "A Gauche Toute !", puis "Ensemble à Gauche"...  Mais d'où diable sort ce fétichisme du parti, cette obsession d'en créer un nouveau tous les dix ou vingt ans ? La gauche (de la gauche) n'est d'ailleurs pas seule à la cultiver (rien qu'à Genève et rien que depuis quatre ans, on a eu droit successivement aux baptêmes du Parti radical de gauche, au Parti populaire genevois, à Planète Bleue et à Federaction, tous créés, rappelle le sociologue Sandro Cattacin, par de "vieux briscards" (et vieilles briscardes) de la politique locale "dont a plus l'impression qu'ils cherchent à exister plutôt qu'à renouveler le débat"...


La question d'une formation unique de la gauche de la gauche, comme le souhaitent les proposant du "Parti populaire" (de gauche), mérite peut-être d'être posée (c'était d'ailleurs l'idée de "La Gauche"...) -mais on en connaît déjà la réponse : dès qu'une telle formation naît, d'autres groupes se revendiquant aussi de la gauche de la gauche naissent sur ses flancs (en sus de ceux qui, comme le Parti du Travail, refusent de s'intégrer et de se dissoudre dans une formation unique)  : le processus est sans fin depuis... bah, disons fin 1917 début 1918... 

En Suisse, où la gauche de la gauche n'a jamais pesé grand chose dans les institutions, hors quelques périodes rares (l'immédiat après-guerre, avec l'irruption du Parti du Travail, et l'immédiat après-'69, avec les POCH et le PSA) et quelques cantons (Genève et Vaud, notamment), elle n'a pas réussi lors des dernières élections fédérales à conquérir suffisamment de sièges pour former un groupe parlementaire au Conseil national (elle n'en a plus depuis 1988), et ses deux élus (à Neuchâtel et Genève) ont rejoint le groupe des Verts pour pouvoir peser un peu dans les débats et les media. Compenserait-elle cette faiblesse nationale, même atténuée par une présence dans quelques parlements cantonaux et municipaux des grandes villes, en se redéfinissant à partir des mêmes prémices qui sont celles de ses redéfinitions successives depuis un siècle?


Nous aussi, d'ailleurs, on a nos échéances. Même si elles tiennent un peu de l’anecdotique : "Un duo se propose pour prendre les rênes d'un PS déboussolé", titre la "Tribune de Genève" (du 4 février), ledit duo faisant le lendemain son petit tour de "Genève à chaud" pour ajouter un peu de buzz au buzz. Sur quoi un autre duo se propose sur Facebook pour "lâcher la bride du PS" et le laisser revenir "à l'état sauvage".  Un choc de titans s'annonçait...  qui n'aura sans doute pas lieu... Mais on se consolera : la "Tribune de Genève" éditorialise le 16 juin sur la probable élection, en octobre, de Cédric Wermuth et Mattea Meyer à la coprésidence du PS suisse , après le retrait des candidatures de Mathias Reynard et Priska Seiler Graf : les futurs co-présidents étant tous deux issus de la Jeunesse socialiste"Le PS va virer à gauche"... Pas trop quand même, doit-on soupirer du côté des parrains du putatif "Parti populaire de gauche", parce que sinon, quel espace lui resterait-il, au PPG, qui comme toutes les formations du même genre ne peut occuper que celui que lui laisserait un PS qui ne tiendrait pas une ligne de gauche ?
"Je n'ai jamais compris ce que (le PS) devrait être si ce n'est de gauche", déclare Cédric Wermuth... Certes, mais depuis bientôt quarante ans, la social-démocratie européenne a en effet viré à droite, quelque part du côté d'un "social-libéralisme" à prétentions modernistes, délaissant la question sociale pour les questions sociétales, s’accommodant d'un capitalisme financiarisé et ne se donnant plus comme projet que celui d'en corriger les tares les plus visibles... ce virage à droite a laissé l'espace de gauche vacant -et l'ancienne gauche révolutionnaire put alors l'occuper, au moins en partie. Et du coup, se faire social-démocrate à la place de la social-démocratie. Car au fond, quel est le projet politique que défendent les formations les plus représentatives de cette "gauche de gauche", sinon celui d'un renforcement des quatre piliers de la social-démocratie héritière de Bernstein :  l'Etat social, de l'Etat de droit, de l'Etat interventionniste dans l'économie, et de l'Etat démocratique ? 


Sans doute la question posée ("un nouveau parti pour la gauche de la gauche ?")( ne nous concerne-t-elle guère, nous qui, décidant contre toute tradition anar d'adhérer à un parti politique, avons choisi "la vieille maison" (comme disait Léon Blum) plutôt qu'un  pavillon de banlieue. Et on ne voit pas de raison de démordre aujourd'hui de ce choix :  Pourquoi diable en effet échangerait-on un grand parti dans lequel on fait, dit, écrit, presque ce qu'on veut contre un petit parti où on vous dira quoi faire, dire, écrire et voter ?

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