Instauration d'un salaire minimum légal à Genève : 23 francs de l'heure, c'est trop pour qui ?


On saura dimanche soir si demander dans une des villes les plus riches et les plus chères du monde que l'on puisse être payé au moins 23 francs de l'heure, soit 4086 francs mensuels pour 41 heures de travail par semaine (c'est le projet d'instauration d'un salaire minimum légal) relève du délire maximaliste, à Genève,ou une personne sur cinq n'arrive pas à subvenir à ses besoins malgré les revenus qu'elle tire de son travail,  et où plus de 30'000 salariées et salariés, travaillant à plein temps, gagnent moins que ces 23 francs de l'heure, les deux tiers d'entre elles et eux étant des femmes. Ces travailleuses et travailleurs pauvres représentent 10 % des salariés employés à Genève, près de 40 % dans l'hôtellerie-restauration. Et la moitié d'entre elles et eux touchent moins de 3500 francs (le salaire minimum de la convention collective du secteur stagne à 3470 francs par mois).
Dans l'économie domestique aussi, un salaire minimum de 23 francs représenterait une amélioration considérable de la situation de celles (essentiellement) et ceux dont le salaire minimum actuel se traîne à 19,50 francs de l'heure, soit 3801 francs brut par mois pour 45 heures de travail par semaine. Dans la blanchisserie, le salaire horaire est de 19,60 francs, dans la coiffure il est de 17,976 francs, dans l'agriculture de 17,50 francs... Et celles et ceux qui occupent un "emploi de solidarité" sont le plus souvent payés 3225 francs par mois. Comment vit-on à Genève avec si peu ? Et combien gagnent ceux qui clament que 23 francs de l'heure, 4080 francs par mois, c'est trop ? Et combien paient-ils leurs femmes de ménage (s'ils les paient encore, et ne les ont pas renvoyées à l'aide alimentaire depuis la covid) ?

Il ne s'agit que de pouvoir vivre dignement de son digne travail


La crise sanitaire a révélé le rôle essentiel joué par des services et des secteurs qui sont souvent ceux où prolifèrent les bas salaires, et qui sont aussi ceux où la main d'oeuvre est majoritairement féminine : caissières, vendeuses, nettoyeuses, employées domestiques, ont été applaudies depuis nos balcons. Elles le méritaient. Elles méritent aussi de pouvoir vivre de leur travail. Or des milliers d'entre elles ne peuvent en vivre correctement. Dans le nettoyage (7000 salariées et salariés, dont 80 % de femmes), le salaire minimum conventionnel des "agentes d'entretien", c'est-à-dire la majorité d'entre elles, est encore de 19,95 francs brut de l'heure, 3695 francs par mois pour 45 heures de travail par semaine, quand nombre d'entreprises du secteur sont des entreprises de taille importante, voire des filiales de multinationales, qui auraient largement les moyens de payer leur personnel au moins 23 francs de l'heure. Et dans ce secteur-là, qui vit en partie, à Genève, de la sous-traitance à des privés de tâches qui devraient relever du secteur public, un salaire minimum serait sans doute un coup d'arrêt à cette "externalisation", qui favorise le dumping salarial en favorisant la concurrence entre entreprises pour l'obtention des marchés ouverts par l'Etat ou les communes (dont la Ville).

A Neuchâtel, où un salaire minimum a été instauré en 2011 et est entré en vigueur en 2017, aucune des prévisions catastrophistes balancées par le patronat et la droite pour s'y opposer, ne s'est réalisée : le salaire minimum n'a provoqué ni augmentation du chômage, ni baisse des salaires. Alors, quand on entend affirmer qu'un salaire minimum légal  va tirer les salaires vers le bas, on s'autorise à ricaner amèrement. Pas seulement parce que partout où un salaire minimum de type SMIC a été introduit, il a commencé par haussé les plus  bas salaires pour ensuite hausser les salaires moyens, mais parce qu'on sait bien que les opposants à un salaire minimum légal ne souhaitent qu'une chose : continuer à sous-payer celles et ceux qu'ils emploient, et ne rêvent en outre que de pouvoir les payer encore moins (cela, c'est l'initiative UDC contre l'immigration qui le leur permettrait, en substituant une immigration illégale, sans protection aucune, à l'immigration légale).

Les opposants au salaire minimum ne se contentent pas de le refuser par principe, ils y ajoutent un refus du montant proposé : 23 francs de l'heure, ça en ferait le salaire minimum "le plus élevé au monde"... si on tient à son niveau nominal, peut-être... mais la valeur d'un salaire est à mettre en relation avec le coût de la vie là où vit celle ou celui qui le reçoit, et le niveau d'un salaire minimum est à évaluer par rapport au niveau du salaire moyen ou médian. Le salaire mensuel médian à Genève tourne autour de 7000 francs par mois, et un salaire minimum de 4000 francs et des poussières par mois est, proportionnellement au salaire médian, plus modeste que le SMIC français, par exemple. Et surtout, il fera gagner plusieurs centaines de francs par mois aux plus mal payés, en donnant à tous les travailleurs, et à leurs syndicats, une forces supplémentaire pour négocier des augmentations salariales conventionnelles. Et évitera de continuer à faire subventionner indirectement par l'aide sociale (et donc les caisses publiques, et donc les contribuables) les employeurs sous-payant leurs employés, ce que le Conseil d'Etat lui-même considère comme "de fait insoutenable" : "devoir "pallier, sur le long terme, des salaires insuffisants versée par l'économie pour subvenir aux besoins fondamentaux : se nourrir, se loger, se soigner, se former" -le volume financier de l'aide sociale a doublé entre 2009 et 2019, passant de 167 à 330 millions, alors que la population n'augmentait dans le même temps que de 10 %.

Un salaire minimum à Genève, finalement, ce n'est rien d'autre qu'un moyen de rendre un peu plus réelle, et crédible, l'obligation faite à l'Etat par la Constitution de prendre "les mesures permettant à toute personne de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille par un travail approprié exercé dans des conditions équitables". Car il ne s'agit au fond que de cela : pouvoir vivre dignement de son digne travail.

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