Mettre fin à la "libre circulation" pour revenir à la libre exploitation ?
Politique du pire
Une initiative udéciste soumise au vote du peuple
et des cantons dans trois semaines propose de mettre fin, avec
ou sans négociation avec l'Union Européenne, à l'accord de
libre-circulation des personnes passé, avec six autres accords
bilatéraux, avec l'Union Européenne. Ces sept accords, acceptés
par le peuple en votation fédérale en 2000 (67,2 % de "oui")
sont liés entre eux : la résiliation de l'un entraîne dans les
six mois celle des six autres (dont, par exemple, celui portant sur la recherche :
chercheurs et entreprises suisses ont accès aux
programmes-cadres de recherche de l'UE et à leur budget de
plusieurs milliards d'euros ou de francs suisses). De plus, la
résiliation de l'accord de libre circulation entraînera tout
aussi mécaniquement la mise à mort des mesures d'accompagnement à cet accord. Des
mesures, décidées par la Suisse, qui sont des mécanismes de
protection des salaires. Et il n'y en a pas beaucoup
d'autres, dans ce pays : il y a bien les conventions
collectives, mais toutes ne contiennent pas de salaires
minimums, certaines ne prévoient que des salaires si bas*
que celles et ceux qui doivent s'en contenter sont des
travailleuses et des travailleurs pauvres, toutes ne sont
pas étendues à l'ensemble du secteur -et toutes ensemble ne
couvrent qu'un travailleur et une travailleuse sur deux. Les
mesures d'accompagnement à la libre-circulation sont des
mesures de protection des salaires et des conditions de
travail. Qu'elle soient encore insuffisantes, nul, à gauche,
n'en disconviendra. Qu'il faille pour autant les abolir
relève d'une démarche toute autre que celle qui consisterait
à vouloir renforcer ces protections insuffisantes -une
démarche relevant de la politique du pire : laisser une
immigration illégale, sans aucun droit, remplacer une
immigration légale dont les droits puissent être défendus,
et leur respect vérifié.
En politique aussi, il y a des pompiers pyromanes.
On parle ici de libre circulation des personnes
-au départ, il ne s'agissait que d'une libre circulation des
travailleurs, et elle n'était instituée (dès 1968) qu'entre les
six membres du Marché Commun (la France, l'Allemagne, l'Italie
et le Bénélux), en un temps où, de son côté, la Suisse cultivait
l'odieux système du statut de saisonnier et des contingents, et
s'autorisait à expulser, vers 1975, 100'000 Italiens victimes à
la fois de la crise "pétrolière" et de l'obsession helvétique
(et pérenne, puisqu'elle règne encore) de la "surpopulation
étrangère". Il faudra attendre la fin des années '80 du siècle
dernier pour que l'on passe dans la Communauté Européenne de la
libre circulation des travailleurs à celle des personnes,
inactifs, étudiants et retraités compris. La "libre circulation"
n'est pas un principe libéral ("néo" ou pas),
c'est un droit fondamental : celui de toute
personne de choisir où elles veut vivre. C'est
donc aussi notre droit à nous, Helvètes de
souche ancienne ou récente -c'était déjà, comme
le rappelle Dominique Ziegler dans son spectacle
"Helvetius"(www.alchimic.ch),
le droit
que voulaient prendre les Helvètes et dont "un
politicien romain ambitieux désireux de
déclencher une guerre à tout prix" les
priva... Le 27 septembre, il va falloir
choisir entre Divico et Jules Cesar. Ce qui ne
nous rajeunit pas...
L'accord instituant la liberté de
circulation des personnes, et les mesures d'accompagnement de
cette liberté, n'est pas une contrainte pesant sur la Suisse,
mais un accord qui instaure une liberté et des droits
réciproques. Autrement dit : ce sont des libertés et des
droits dont bénéficient les Suisses qui seraient remis en
cause si l'initiative udéciste était acceptée. La "libre
circulation", en effet,c'est un droit réciproque de résidence
accordé aux Suisses en Union Européenne et aux Européens de
l'UE (il en est d'autres...) en Suisse : à certaines
conditions, les Suisses peuvent travailler et résider dans les
Etats de l'Union, et les ressortissants de ces Etats résider
et travailler en Suisse. Les diplômes suisses sont reconnus en
Europe et les diplômes européens reconnus en Suisse, les
assurances sociales sont coordonnées (sans être unifiées). Au
fond, l'accord de libre-circulation entre la Suisse et l'UE
ressemble à ce que la Suisse elle-même institua entre ses
cantons : le droit de tout Suisse de résider, de travailler,
de commercer dans n'importe quel canton suisse...
Quelle
est, ici et maintenant, l'alternative aux mesures
d'accompagnement à la "libre circulation", ces mesures qui
tomberaient avec elle si l'initiative udéciste passait la
rampe? Le retour aux contingents, le durcissement des
conditions de l'immigration légale (avec pour conséquence
l'incitation à l'immigration illégale). Et la
généralisation d'une précarité qui frappe déjà des
milliers de travailleuses et travailleurs. Les femmes
seront les premières victimes de ce retour à une politique
qui fut celle de la Suisse jusqu'à l'abolition du statut
de saisonnier -une politique sans "mesures
d'accompagnement" -ces mesures ont été arrachées par les
syndicats et la gauche et elles tomberaient si la "libre
circulation" était abrogée. Or elles sont actuellement, en l'absence de
salaire minimum, les seules protections contre la
sous-enchère salariale : les affaiblir, et à plus forte
déraison les abolir, laisserait cette sous-enchère
maîtresse du terrain. Les affaiblir, c'est la renforcer.
Et dégrader les conditions de travail et de salaire de
toutes les travailleuses et de tous les travailleurs de
Suisse. Indigènes compris, bien entendu. Au fond, que l'UDC ne défende pas les "travailleurs
suisses" est une vieille évidence historique. Que l'UDC ne
veuille pas réduire l'immigration en est une autre : elle ne
veut pas moins d'immigrants (ou de frontaliers), elle veut
seulement des immigrants avec moins de droits. Et donc plus
"concurrentiels" des "travailleurs suisses", le fin du fin,
l'optimum, étant sauf à rétablir le servage, qui liait le
travailleur à la terre comme plus tard le statut de
saisonnier le liait à son emploi, remplacer les immigrantes
et immigrants légaux par des immigrantes et des immigrants
illégaux : elles et lui n'ont aucun droit. Réduire
les possibilités d'immigration légale, c'est, partout et
toujours, accroître l'immigration illégale, et le travail
illégal. Qu'on pourra toujours ensuite, posture connue,
dénoncer en en rendant coupables celles et ceux qui y sont
contraints plutôt que ceux et celles qui en profitent.
En politique aussi, il y a des pompiers pyromanes.
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