Projet de budget municipal : Entrée en matière

 

Le Conseil municipal de gauche de  la Ville de gauche de Genève a voté hier soir l'entrée en matière sur le projet de budget 2021du Conseil administratif de gauche. Un budget "difficile", résume le Conseiller administratif Alfonso Gomez, chargé des Finances,. Un budget pas enthousiasmant, en tout cas : il tient la limite normale de déficit autorisé (49,3 millions, soit le niveau de ses amortissements) comme une frontière sacrée, alors qu'il pourrait la repousser de trente millions), sous-dote l'action sociale en faisant comme si la crise sanitaire n'avait pas aggravé la situation de dizaines de milliers de personnes, repousse des projets sociaux, bloque les mécanismes salariaux du personnel (annuités, primes d'ancienneté, progression du 13e salaire) et fait de la hausse de l'impôt municipal un tabou. Il peut cependant être amélioré, sur proposition des commissions (et de chaque membre du Conseil municipal), voire du Conseil administratif lui-même. Et pendant une année, le Conseil administratif peut proposer des crédits extraordinaires. On a voté l'entrée en matière sur le projet de budget de l'Exécutif et son renvoi pour examen dans les commissions spécialisées et à la commission des finances. On a assez reproché à la droite de refuser de faire son boulot d'examen du budget pour éviter de refuser nous-mêmes de faire notre boulot -qui est d'étudier un projet de budget, d'en débattre, de l'amender, de l'améliorer -pas de l'accepter a priori, sur ordre. Ni d'ailleurs de le refuser a priori, par réflexe : quel qu'il soit, un projet de budget ne mérite ni l'honneur d'être érigé en totem, ni celui d'être proscrit en tabou : en entrant en matière sur lui, les conseillères et conseillers municipaux ne l'ont pas approuvé pour autant. Et le Conseil administratif lui-même a la possibilité de reprendre son propre projet et de l'amender lors des "arbitrages d'octobre", quand les prévisions de recettes se seront affinées. Tout espoir n'est donc pas perdu que l'ouverture d'un second abri pour sdf, une contribution à un abri de l'Armée du Salut, la pérennisation des logements relais pour femmes ou l'extension de l'allocation de rentrée scolaire puisse être réintégrées au budget d'une ville de gauche capable de planter des arbres ET de loger les sans-abris. De créer des pistes cyclables ET d'internaliser le nettoyage de ses locaux. De réduire les émissions de CO2 ET le temps de travail.

Est-ce que  refuser de proposer en Ville ce qu'on propose au canton, aurait un sens ?

Donc, nous voilà saisi du projet de budget 2021 de la Ville, avec son déficit de 49,3 millions (pour 1,2 milliard de dépenses) et ses investissements de 180 millions. La réforme fiscale RFFA est passée par là. Puis la crise sanitaire. Mais le Conseil administratif est fier d'annoncer que la Ville, en s'en tenant au déficit princièrement autorisé par le canton (qui, lui, s'autorise n'importe quel déficit), maintient "toutes les prestations à la population" (ceux qui, comme nous, soupireraient qu'en temps de crises sanitaire et sociale, il s'imposerait plutôt de les accroître que de les maintenir ne sont que de tristes grincheux)  et "conserve la maîtrise de ses charges et n'est pas contrainte de présenter un plan de retour à l'équilibre de ses finances au Conseil d'Etat" (qui en impose un aux communes si elles dépasse le déficit autorisé, mais -on insiste- ne s'en impose aucun à lui-même). Et puis, s'il annonce qu'il gèle les mécanismes salariaux de la fonction publique municipale, il s'empresse d'ajouter que ça n'implique aucune baisse sa salaire. Enfin, il est fier, le Conseil administratif, de refuser par principe une hausse, même modérée, de l'impôt communal. Et c'est là que le bât blesse.

La gauche tient, sur l'impôt direct (celui sur le revenu),  et donc sur les budgets publics qu'il finance, un discours constant depuis, disons un bon siècle (depuis la création, précisément, des premiers impôts directs modernes) : il est à la fois le moyen de financer des prestations publiques et le moyen de réduire les inégalités de ressources. Cette double fonction qu'on lui assigne, celle de financement et celle de redistribution a pour corollaire que le niveau de l'impôt est déterminé par la réalité sociale, et quand la population a besoin de prestations supplémentaires, ou d'un renforcement des prestations existantes, et nous sommes précisément dans une telle situation, une augmentation de l'impôt se justifie par le besoin de financement supplémentaire. Et quand les inégalités sociales se renforcent, une augmentation de l'impôt se justifie par le besoin de réduire ces inégalités. Et on y est aussi. Voter OUI à l'initiative "Zéro Pertes", comme les socialistes, les Verts,"Ensemble à Gauche" et les syndicats y invitaientm (avec succès) , et accepter, en nos temps de crise, d'augmenter un peu la pression fiscale directe, cela procède de la même démarche et de la même intention: réaffirmer les deux fonctions de l'impôt : celle qui finance les prestations à la population, celle qui réduit les inégalités sociales. Une augmentation de l'impôt direct se justifie donc aujourd'hui, tant au plan cantonal qu'au plan communal, là où elle est concevable (et elle l'est en Ville de Genève). D'ailleurs, elle est constamment proposée par le parti socialiste cantonal genevois et ses députés au Grand Conseil -avouez qu'il serait assez farce que le parti socialiste municipal et ses élus au Conseil municipal n'osent pas en faire autant... Une hausse de l'impôt direct cantonal serait bienvenue, et une hausse de l'impôt direct communal serait taboue ?

On n'exclut donc pas (la question restant de savoir qui se cache derrière ce "on" impersonnel) de proposer  une hausse de l'impôt communal, pour, en faisant tenir le déficit dans les limites imposées par le Bailli, renforcer les prestations à la population qui a en le plus besoin (on n'en a pas en projet pour les millionnaires). Cette hausse serait sans doute combattue par un référendum lancé par la droite -comme nous avions nous-mêmes combattu par référendums (referenda ?) les modifications budgétaires imposées par la droite. Fort bien, ce serait donc aux habitants (du moins celles et ceux qui, disposant du droit de vote, consentent à en user) de choisir entre une (modeste) hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations. Cantonalement, d'ailleurs, toute modification du cadre fiscal est obligatoirement soumise au vote populaire. Des votes lors desquels la gauche défend toujours un renforcement de l'imposition directe. Comme elle défend, face au budget du Conseil d'Etat, le maintien des prestations, et des postes et des droits de la fonction publique (ne serait-ce que pour en faire des droits de toutes et tous les travailleurs). Elle a d'ailleurs, la gauche, formé avec les syndicats et les mouvements sociaux un comité unitaire cantonal contre les projets budgétaires et fiscaux du Conseil d'Etat. Un comité dont font partie les socialistes et les Verts. Est-ce que  refuser de proposer en Ville ce qu'on propose au canton, aurait un sens ? On n'en est pas encore là, mais laisser les habitants de la Ville choisir entre une prudente hausse de l'impôt communal et une baisse des prestations, c'est une démarche claire, cohérente, dont on n'a pas à avoir peur. D'autant moins, d'ailleurs, que même si la droite lançait et gagnait un référendum contre la modeste hausse de l'impôt communal que, par hypothèse, le Conseil municipal aurait voté, la Ville ne se retrouverait pas sans budget pour 2021  : comme à chaque fois qu'un projet de budget est refusé (par qui que ce soit, le Conseil municipal ou le peuple, la gauche ou la droite), elle se retrouverait, dans le régime des "douzièmes provisionnels", c'est-à-dire l'octroi mois après mois d'un douzième des allocations prévues au précédent budget adopté. C'est-à-dire le budget 2020. Le dernier budget de Sandrine Salerno. Un budget qu'on avait accepté. Un bon budget. Un autre temps...


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