23 francs de l'heure, ce n'était pas trop demander


 

La belle victoire

23 francs de l'heure, ce n'était pas trop demander, et c'est la plus belle victoire de dimanche, parce qu'on l'avoue, on n'y croyait pas trop, à nos chances de faire accepter l'initiative syndicale pour un salaire minimum, soutenue par toute la gauche, mais confrontée à une furieuse campagne du patronat et de la droite sur le thème connu, rebattu et lassant de "ça va tuer l'économie". On n'y croyait pas trop, à cette victoire, et on avait tort : le résultat est sans appel : 58 % de "oui". Les images des files d'attente de la distribution de colis alimentaires, la révélation que dans ces files, il y avait d'abord une forte minorité, puis une majorité, de travailleuses et de travailleurs légaux, à plein temps, dont le salaire (quand encore il tombait encore) était insuffisant pour leur permettre de se passer d'aide sociale, ne sont sans doute pas pour rien dans cet adoubement par le peuple d'une proposition qu'il avait auparavant refusé deux fois. En 2011, 54 % des votants la refusaient encore. La troisième tentative fut la bonne : on avait applaudi les mal-payés pour leur travail en temps de pandémie, on a soutenu leur droit à être payés comme il convient, au minimum, de les payer. Et ça fait du bien par où et comme c'est passé.

Les vieilles méthodes d'enfumage auraient-elles, enfin, fait leur temps ?

Genève est le quatrième canton, après Neuchâtel, le Jura et le Tessin, à introduire un salaire minimum légal, mais il est des quatre celui qui devrait l'appliquer le plus rapidement :  il entrera en vigueur rapidement après la promulgation de la loi résultant du scrutin. Autrement dit, les salaires de novembre pourraient être, s'ils sont inférieurs au salaire minimum légal, devront lui être adaptés, même si une convention collective prévoit un salaire inférieur (ça arrive..) : "la loi écrase la convention", résume le président du Conseil d'Etat, Antonio Hodgers. Mais l'entrée en vigueur du salaire minimum ne signifie pas encore son respect : pour les syndicats, il va s'agir de vérifier son respect (en cas d'irrespect, les employeurs fautifs pourront être amendés d'un maximum de 30'000 francs), et de s'assurer, par exemple que le  minimum salarial légal ne soit pas contournée par des réductions abruptes de temps de travail destinées à maintenir les salaires mensuels au niveau actuel... et pour les "politiques", de s'assurer que plus personne ne travaille à Genève pour des entreprises privées sous mandat public du canton ou des communes avec des salaires inférieurs à celui qui vient d'être posé comme un minimum légal et de résoudre des problèmes spécifiques, comme celui des "emplois de solidarité", qui ne pourront être maintenus que si l'Etat lui-même contribue à hausser leur rétribution au niveau du salaire minimum.

Contre la précarité et l'exploitation, ce sont les droits des travailleurs et des travailleuses que les Genevoises et les Genevois ont décidé de protéger, pas les frontières, et le vote clair (à plus de 58 % des suffrages, et une majorité dans 25 des 45 communes)  en faveur d'un salaire minimum de 23 francs de l'heure en témoigne. De ce vote, 30'000 salariées (surtout) et salariés vont bénéficier immédiatement -et ce sont souvent celles et ceux qu'on a applaudi ce printemps parce qu'ils assumaient des tâches essentielles : les soins, le nettoyage, les livraisons de produits de premières nécessité, les caisses et la manutention dans les magasins... En acceptant d'instaurer un salaire minimum, un plancher sur lequel peuvent se tenir les conventions collectives et les contrats-type, les Genevois et les Genevoises ont refusé d'admettre comme une fatalité que des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs ne puissent couvrir leurs besoins par leur salaire et doivent recourir à l'aide sociale pour ne pas sombrer. Or d'entre ces travailleuses et ces travailleurs sous-payés, il y a ceux employés à certaines tâches que les collectivités publiques ont "externalisées", c'est-à-dire confiées à des sociétés privées, alors qu'elles devraient l'être par l'Etat ou la commune et à leur propre personnel. Le nettoyage des locaux et des lieux publics, par exemple...

En acceptant d'instaurer un salaire minimum, les Genevois ont refusé le chantage à l'emploi que le patronat exerçait, sur le ton de "un bas salaire vaut mieux que le chômage". Du même mouvement, ils ont aussi refusé le chantage à la faillite exercé pour convaincre de refuser l'initiative "Zéro pertes". Au fétichisme du "partenariat social" (dans sa version patronale), ils ont, comme le résume le président du PLR, préféré "la solidarité avec des travailleurs en situation financière précaire". Les vieilles méthodes d'enfumage auraient-elles, enfin, fait leur temps ou sont-ce les temps étranges que nous vivons qui les ont, seulement temporairement, rendues inefficaces ? On préférera la première hypothèse. Et on retiendra que le "tout va bien avec le partenariat social" que serinait le patronat n'a plus l'efficacité qui était la sienne depuis des décennies... L'antienne lasse, la berceuse n'endort plus.

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