Action sociale d'urgence : Dialogues de sourds
Le débat sur le partage de la responsabilité de l'action sociale d'urgence, entre toutes les communes et entre elles et le canton, est récurrent -cela fait des années qu'on l'a au Conseil municipal de la Ville et qu'on s'y plaint de ce que l'hébergement des sans-abris et l'aide sociale d'urgence reposent en partie démesurée sur la Ville. D'autres communes y participent, mais de loin pas toutes et les plus riches ne sont pas celles qui s'illustrent le mieux par cet effort de solidarité. Le Conseiller d'Etat Thierry Apothéloz a, sur le fond, parfaitement raison de constater le "manque de coordination pour assurer un nombre de place suffisant". Et parfaitement raison, aussi, de proposer la création d'un fonds intercommunal pour l'assurer. La preuve qu'il a raison de le proposer ? on le propose aussi : une motion de gauche (PS-Parti du Travail) pour la création d'un fonds intercommunal de soutien à l'action sociale a été déposée au Conseil municipal de la Ville de Genève, a été adoptée en commission de la cohésion sociale et est à l'ordre du jour de la prochaine séance du Conseil municipal. De son côté, ou sur son trône, e Conseil d'Etat a concocté un avant-projet de loi pour, selon lui, "clarifier les responsabilités" entre les communes et l'Etat. Mais en fait de clarification, on a surtout un conflit de plus entre un canton qui veut faire payer les communes, et des communes qui ne sont d'accord de payer qu'en échange de compétences réelles, dans un canton qui est celui, en Suisse, qui leur en accorde le moins.
Affirmer la capacité des communes d'agir ensemble
La Ville de Genève assume la quasi-totalité de la charge
de l’hébergement des sans-abris de tout le canton, et une
part importante de l’hébergement de ceux de la Côte
vaudoise et de la France voisine.
Cette situation résulte moins d’un choix politique que
d’un héritage et d’une habitude, ne
serait-ce que parce que la Ville est la ville-centre de la
"Grande Genève". L'engagement de la Ville pour donner
réponse aux urgences sociales est à saluer et à renforcer mais
cet engagement a un effet pervers : il incite les communes qui
ne font rien, ou pas grand'chose, à se reposer sur la Ville, ce
que le canton est lui-même tenté de faire, alors que la
répartition légale des tâche lui confie à lui celle de l'aide
aux personnes. Mais comme le constate le Conseiller d'Etat
Apothéloz, "les prestations publiques peinent parfois à coller
au plus près des besoins d'une partie de la population, sa
partie la plus précarisée". Dès lors, pour "coller au plus
près"des besoins de cette population, on se repose sur les
communes, qui sont en effet "au plus près" de la population. Et
d'entre les communes, on se repose sur la Ville. Parce qu'on
sait qu'elle fera le boulot, et qu'elle en a les moyens humains
et financiers.
Nous
voulons affirmer la capacité des communes d'agir de
manière concertée et de se donner les moyens de cette
action, sans y être forcées par le canton : on ne peut pas
en même temps dénoncer la tutelle cantonale et refuser de
se donner les moyens d'y échapper. Il nous importe d'aller au-delà de la plainte,
d'inventer l'instrument permettant de faire contribuer toutes les
collectivités publiques à l'action sociale d'urgence, et
d'affirmer ainsi la capacité des communes d'agir ensemble. Si les associations assumant
l’accueil d’urgence des sans-abris
arrivent à travailler ensemble, il
n’y a aucune raison pour que les communes et le Canton n’y arrivent pas. Nous
invitons donc le Conseil administratif à prendre
toute initiative et toute mesure utile pour la
création, en collaboration avec le Canton et l’Association des communes genevoises,
d’un fonds intercommunal de soutien à l'action sociale
d'urgence (pas seulement l'hébergement des
sans-abris). Ce fonds serait financé par toutes les
communes en fonction de leur capacité financière.
Si le canton, par la voix du Conseiller
d'Etat Thierry Apothéloz, se défend dans "Le
Courrier" de lundi de ne pas en faire assez
(personne, en tout cas, ne lui reproche d'en faire
trop), les communes, elles, refusent de faire plus
si le canton n'en fait pas plus ou ne le fait qu'en
le leur faisant payer, et la Ville attend que toutes
les collectivités publiques prennent leur part d'une
tâche qu'on ne peut assumer en se confinant dans les
limites d'une commune, fût-elle la principale. Le
Conseil d'Etat a donc concocté un avant-projet de
loi pour, selon lui, "clarifier les responsabilités"
-que la loi sur la répartition des tâches entre les
communes et le canton ne règle pas, sauf à poser
comme règle que l'aide individuelle sociale
individuelle est du ressort du canton. Sauf que la
Ville en accorde deux, d'aides sociales
individuelles : une allocation complémentaire aux
prestations complémentaires cantonale et fédérale à
l'AVS, et une allocation de rentrée scolaire (que la
droite municipale a imposé de n'accorder que sous
forme de bons valables seulement dans certains
commerces, et pour certains achats). Mais
l'avant-projet de loi cantonales, la clarifie-t-il,
cette répartition des tâches dans le domaine de
l'action sociale ? Pas vraiment. L'Association des
communes genevoises, accepte de verser un
million de francs à la Ville (si le canton
en fait autant) ce qui permettrait
d'éviter la fermeture d'un avril PC en
hiver et de financer des projets de
réinsertion en faveur des femmes, mais
elle s'oppose au projet de loi du canton,
qui les taxe de 44 millions de francs en
2021 (et jusqu'à 90 millions en 2024), en
se contentant, lui, d'apporter deux
millions, et sur deux ans, sans leur
transférer des compétences supplémentaires
en échange de ce transfert de charges. Et
menace le système de la péréquation
intercommunale, puisque la contribution
prélevée sur des communes riches (19,7
millions sur Cologny, 9,5 millions sur
Genève, dont le budget sera déjà, sans
cela, en déficit de presque 50 millions)
en fonction du rendement de l'impôt
communal, ferait tomber leur capacité
financière (et donc leur contribution à la
péréquation intercommunale). Et ce sont
les communes pauvres qui y perdraient,
puisque leur budget dépend de l'apport de
la péréquation intercommunale (qui couvre
par exemple plus du tiers du budget
d'Onex. Et que ce que les communes riches
donneraient à l'Etat, elles ne pourraient
plus le donner aux communes pauvres...
Les communes ne refusent
pas de contribuer à l'action sociale,
elles refusent qu'on leur transfère des
charges sans les compétences qui
correspondent à ces charges. "On ne peut
pas tout régenter et se contenter de
piocher l'argent manquant dans les poches
des autres" (surtout quand le canton
refuse d'augmenter un tout petit peu
l'impôt cantonal, tout en comptant saur
les communes pour augmenter l'impôt
communal), résume
le Conseiller
administratif de
la Ville Alfonso
Gomez. Et le
président de
l'Association
des communes
genevoises,
Xavier Magnin,
qui estime que
le canton mène
une politique de
comptable plutôt
que de projets,
de préciser: "on
ne nous demande
même pas de
payer une
facture, mais
tout simplement
de subventionner
l'Etat". La
Conseillère
administrative
onésienne
Carole-Anne Kast
conclut : "il
faut que l'Etat
cesse de nous
considérer comme
des
fonctionnaires.
Nous sommes des
élus". Et l'ACG
d'annoncer un
référendum si
d'aventure le
Grand Conseil
acceptait le
projet de loi
cantonal tel
quel.
La pauvreté est
là. Y répondre est une tâche d'urgence, et y répondre en la
prenant telle qu'elle est, dans toutes ses manifestations,
et toutes les catégories sociales qui y sont confrontées, un
devoir des collectivités publiques. De toutes les
collectivités publiques. Choisir ses pauvres, les "bons
pauvres" contre les mauvais, les pauvres méritants contre
les ingrats, les vrais pauvres contre les faux, les vieux
contre les jeunes (ou l'inverse), les familles contre les
individus, les indigènes contre les migrants, les
sédentaires contre les nomades, les encartés contre les
sans-papiers, les pauvres de la commune contre les pauvres
d'ailleurs, c'est la vieille pratique de la vieille charité.
A quoi s'oppose la solidarité sociale, celle qui redistribue
à tous ceux qui n'ont rien, ou pas grand-chose, un peu de ce
qu'on a pris à ceux qui ont beaucoup. On n'est plus alors
dans une relation de pouvoir entre ceux qui donnent et qu'il
faut remercier d'avoir donné et ceux qui reçoivent et qui
doivent remercier ceux qui ont donné, puisqu'alors personne
ne donne : l'Etat, ou la Commune, ce n'est personne puisque
c'est tout le monde. On est alors dans un rapport de droit :
les plus pauvres ont un droit à l'aide, l'Etat ou la Commune
a le devoir de les aider. Ce que les "libéraux" (au sens du
libéralisme économique, pas du libéralisme politique)
détestent, c'est précisément cela : qu'entre le haut et le
bas de la société, il y ait la société elle-même, dont
Margaret Thatcher disait qu'elle n'existe pas. La société...
et les communes. Dont l'Etat semble, dire, lui aussi,
qu'elles n'existent pas. Elles existent, et veulent le faire
savoir, non en refusant d'agir, mais en revendiquant de
pouvoir le faire librement.
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