Après l'incendie du camp de Moria (Lesbos) : Le compte.-goutte suisse

 


Le 8 septembre, sur l'île grecque de Lesbos, un incendie a complètement détruit le camp de stockage des migrants de Moria, où 13'000 personnes, dont 4000 enfants. étaient entassées dans une infrastructure prévue pour 2000 personnes. La Covid et les mesures prises pour tenter d'en freiner la propagation dans le camp (couvre-feu) y avait rendu les conditions de vie  encore plus insupportables. Neuf villes suisses, dont Zurich, Genève, Lausanne, Delémont, Fribourg, ont annoncé qu'elles étaient prêtes à accueillir des réfugiés en provenance de Lesbos. Les Maires socialistes de Genève et Lausanne, Sami Kanaan et Grégoire Junod, plaident pour un "engagement plus important de notre pays pour l'accueil de réfugié.e.s", le magistrat popiste (du Parti du Travail, donc) lausannois David Payot ajoute que l'objectif des villes est "que la Confédération organise dans les plus brefs délais une conférence nationale urgente sur le sujet" pour "coordonner les acteurs plutôt que de diluer les responsabilités". Et en face, en haut, au Conseil fédéral, on dit quoi, on fait quoi ? La Conseillère fédérale Keller-Sutter a annoncé que la Suisse ne pouvait accueillir, au compte-goutte, que 20 jeunes migrants, mineurs et non-accompagnés (MNA). A comparer aux 1500 personnes, plus 150 MNA, que la chancelière allemande Merkel a annoncé vouloir accueillir, la France se déclarant prête à en faire autant. Et à comparer aussi aux 14'000 demandes d'asile déposée en Suisse en 2019, presque trois fois moins qu'en 2015.

"Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien"

L'Union Européenne planche sur un nouveau "pacte" européen sur la migration et l'asile, et veut se doter d'un "cadre global, durable et à l'épreuve des crises pour la gestion de la politique d'asile et de migration au sein de l'UE".  Qu'en attendre ? Au vrai, pas grand'chose : les Etats européens ont encore plus peur des migrants que du coronavirus, et feront tout pour rationaliser le système qu'ils ont mis sur pied, plutôt qu'en changer. Ce système charge le sud de l'Europe (c'est-à-dire le nord de la Méditerranée) de l'"accueil" du plus gros des migrants, en laisse une bonne partie se noyer avant d'atteindre les côtes, en renvoie une autre vers les camps de concentration (au strict sens du terme) libyens. La Commission européenne a annoncé le 16 septembre son intention abolir le Règlement Dublin, qui attribue la compétence de traitement des demandes d'asile à tel ou tel Etat signataire (comme la Suisse) de l'accord fondant le système. On devrait se féliciter de cette intention du "gouvernement" de l'Union Européenne, mais si la Commission européenne s'apprête à renoncer au "système Dublin", c'est qu'il a mauvaise presse, qu'il est à la fois inefficace et inhumain, qu'il a réduit le droit d'asile à une méthode de parcage du bétail et de trip du cheptel : des hommes, des femmes, des couples, des familles, des personnes vulnérables sont renvoyées là où , comme l'écrit Aldo Brina, "tout le monde sait pertinemment qu’elles ne seront pas prises en charge, des malades sont transférés là où leur traitement s’arrêtera, des frères et sœurs ou des couples sont séparés". On ne pleurera donc pas la mort de ce système. Et on craint sa résurrection, sous un autre nom, une autre forme. Et on craint aussi que les migrants soient laissés en pâture aux geôliers libyens ou en naufrage en Méditerranée. Sous la surveillance de l'agence Frontex.

La liberté de circulation, non telle qu'elle est restrictivement conçue actuellement mais comme un droit absolu, devrait relever de l'évidence. Pas de l'idéologie (le refus de la détermination injuste d'une vie humaine par le hasard du lieu de la naissance), ni même du simple respect du droit supérieur (la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 13.2 proclame que "toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien",  les migrations ne se font pas que dans le seul sens du sud vers le nord et de l'est vers l'ouest, mais aussi dans les sens inverses, et que si nous revendiquons pour nous la liberté de nous établir ailleurs, si nous le souhaitons, nous avons à admettre cette même liberté pour d'autres de s'établir "chez nous".
C'est affaire d'empirisme : l'espèce humaine est une espèce migrante qui a peuplé  tous les continents (elle est même la seule à l'avoir fait, à l'exception des espèces parasites que les humains trimballent avec eux : les poux, les blattes, les rats...), sauf l'Antarctique (où elle a tout de même réussi à implanter des établissements permanents à la population régulièrement renouvelée).  Historiquement (et préhistoriquement) migrante, l'espèce humaine ne cessera pas de l'être. Et elle l'est déjà infiniment plus facilement qu'elle ne l'était quand elle peupla toute la planète. Car elle le fit à pied. Encore aujourd'hui, on estime qu'il ne faudrait que cinq ans à un groupe d'adultes humains pour faire le tour du monde à pied si cela était encore possible... comme cela l'était quand nos ancêtres partis d'Afrique le firent (en y mettant un peu plus de temps, il est vrai). Mais on peut migrer aujourd'hui en train, en bateau, en voiture, en avion... et il ne faut que quelques heures pour faire un parcours qui prenait des années, ou toute une vie, il y a 10'000 ou 50'000 ans... Le fameux "grand remplacement" qui terrifie les "identitaires", c'est toute l'histoire de l'humanité, et il n'est sans doute plus un seul endroit sur terre qui soit encore peuplé majoritairement par un groupe humain directement issu du premier groupe qui s'y établit...

Enfin, la liberté de circulation relève du pragmatisme : fermer les frontières ne réduit pas les migrations, mais les rendent seulement plus dangereuses. A contrario, les ouvrir dissoudrait les réseaux d'exploitation des migrants, qui ne fonctionnent qu'en raison des obstacles aux migrations, et permettrait de consacrer les ressources gaspillées à lutter contre l'immigration illégale à des actions plus utiles, des investissements plus indispensables, des réponses plus urgentes aux crises sociales, environnementales, économiques. Car il n'y a pas de crise des migrations : il n'y a que la crise dans laquelle se complaisent les descendants honteux des migrants de naguère.



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