L'initiative udéciste rejetée, la cible, désormais, c'est l'"accord-cadre"


 
D'un refus l'autre

Le rejet, net et sans bavure, à 61,7 % des suffrages, et par tous les cantons sauf quatre (dont le Tessin, mais à une majorité bien moindre qu'attendue) de l'initiative udéciste ouvre le débat sur, et le combat contre, l'accord-cadre avec l'Union Européenne et ses 27 Etats-membres. Un accord très mal parti, dans sa formulation actuelle : patronat et syndicats s'y opposent, et demandent une renégociation sur trois points : la protection des salaires, les aides étatiques aux services publics et à certains secteurs de l'économie et l'octroi (que le patronat refuse) des aides sociales aux ressortissants européens. "L'accord institutionnel (doit être) retravaillé de fond en comble", assène le président de l'Union Syndicale, Pierre-Yves Maillard. Or cette renégociation, l'Union Européenne n'en veut pas. Et la présidente de la commission, Ursula von der Leyden attend du Conseil fédéral qu'il fasse "signer et ratifier l'accord cadre que nous avons négocié en 2018". Cet accord, précisément, qu'il est illusoire de faire accepter par le peuple suisse. Il ne peut en effet être question pour la gauche politique et syndicale de soumettre le cadre légal et constitutionnel aux dérégulations libérales que pourrait décider la Cour européenne de justice. Quant à l'UDC, outre son tropisme europhobe, qui le fera par réflexe refuser tout accord avec l'UE, c'est le droit des ressortissants européens aux aides sociales suisses qui la hérisse le plus. Qu'importe : pour nous, puisque nous nous sommes débarrassés (fût-ce avec l'aide du patronat) de l'initiative de l'UDC, la cible, désormais, c'est l'"accord-cadre". Fût-ce avec l'aide de l'UDC.

Un "oui" à la libre circulation qui veut dire "non" à l'accord-cadre...

Pour une fois, mais la prudence est de mise, une initiative xénophobe (et europhobe) de l'UDC semblait dès les premiers jours de la campagne mal partie pour aboutir. On retiendra nos larmes, elles ne seraient que de crocodiles apatrides. L'UDC a beau eu faire flèche de tout bois (indigène), son discours habituel n'a pas pris au-delà de son électorat habituel et de quelques scories annexes, malgré l'appui donné à l'initiative de son parti par le Conseiller fédéral Ueli Maurer. On ne lui reprochera d'ailleurs pas d'avoir "rompu la collégialité", puisqu'on attend des membres socialistes d'un exécutif (fédéral, cantonal, municipal) qu'ils soient capables d'en faire autant un peu plus souvent qu'ils s'y résolvent. Bref, dimanche, la Suisse a plébiscité la voie bilatérale, l'accord de libre-circulation et les mesures d'accompagnement, si insuffisantes qu'elles soient. Et peu leur a importé, aux Suisses, que l'Union Européenne ne se satisfasse plus de ce système et exige un accord institutionnel plus contraignant, soumettant la Suisse aux décisions de la Cour européenne de justice : de cela, les Suisses (de gauche comme de droite) ne veulent pas et ont tout à fait raison de ne pas vouloir. Si un "accord-cadre" en ce sens devait être conclu, ce sont les syndicats et la gauche qui lanceraient le référendum, pour défendre des acquits, comme ils les ont défendus contre l'initiative de l'UDC... laquelle, d'ailleurs, prônait naguère la voie bilatérale contre l'Espace économique européen.

Pour les salariés de Suisse, qu'ils soient suisses ou étrangers, indigènes ou immigrants, la menace ne vient pas de l'extérieur, de l'immigration, mais de l'intérieur -de la faiblesse du cadre légal suisse de protection du travail.  Pour les travailleuses et les travailleurs les plus précaires, l'affaiblissement, et à plus forte raison la suppression des mesures d'accompagnement représenterait plus de précarité encore. Or si l'initiative de l'UDC repoussée dimanche condamnait ces mesures, l'accord-cadre négocié avec l'Union Européenne les affaiblirait, en les soumettant aux décisions de la Cour européenne de Justice, sans que l'on puisse user des droits démocratiques pour les contrer.

"On ne voit pas en quoi garantir que tout travailleur venant en Suisse soit payé en salaire suisse puisse gêner quiconque au sein de l'Union européenne", observe le président de l'Union Syndicale, Pierre Yves Maillard (dans "Le Courrier" du 10 janvier). D'autant que la Suisse n'est pas obligée de reprendre le droit européen, et que si elle décidait de le faire sur des enjeux importants, le droit de référendum pourrait s'y opposer, tant qu'un accord-cadre qui serait accepté à la fois par le Conseil fédéral, le parlement et le peuple ne l'y contraindrait pas. Or l'accord du peuple est hors de portée (même le président du PDC l'a déjà enterré). Parce qu'à l'alliance entre la gauche et la droite (politique et économique) libérale pour se débarrasser de l'initiative udéciste succédera une alliance entre la gauche et l'UDC pour refuser un accord-cadre qui réduirait en Suisse les protections sociales et la portée des droits démocratiques. Ces mêmes droits démocratiques dont nous avons fait usage dimanche pour repousser une proposition inacceptable. Et dont nous aurons sans doute à faire à nouveau usage pour repousser un accord-cadre tout aussi inacceptable. Le "oui" populaire à la libre-circulation, aux mesures d'accompagnement, aux bilatérales et, à Genève, à un salaire minimum légal, peut ainsi fort bien se traduire par un "non" à un accord-cadre qui aggraverait le dumping social et démantèlerait les protections, insuffisantes, des droits (notamment salariaux) des travailleuses et des travailleurs.



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