Que faire de la nouvelle loi sur le CO2 ?

 

Trop petit pas (tapon) ?

En août, la Grève du climat annonçait vouloir remettre la pression sur les institutions, après l'adoption de la loi fédérale sur le CO2, pour aller plus loin que la loi. Et en septembre, les groupes romands de la Grève du climat annonçaient vouloir lancer, ou soutenir, un référendum contre cette même loi, qu'on voulait en août dépasser, et qu'on veut en septembre abroger -ce qui aboutirait à un statu quo, inconciliable avec toute reconnaissance de l'urgence d'une réponse à la dégradation climatique. La loi CO2 ne prévoit que de réduire de 50 % les émissions de CO2 en 2030 (par rapport à 1990), au lieu que de les ramener au niveau de 1990, et ne se fixe comme objectif que 75 % de ces réductions soient effectuées en Suisse, au lieu que d'y effectuer 100 % et de renoncer à ratifier le"marché des droits de polluer" ailleurs,  accordé aux pollueurs depuis le protocole de Kyoto. Il  faudra la purger de cette compromission (comme d'autres), mais refuser la loi ne serait pas refuser "le droit de polluer", puisque ce droit est accordé sans elle. Si rien n'est fait (et si la loi devait être refusée), la Suisse prendrait part à un scénario planétaire de 6°C d'augmentation de la température. La nouvelle loi, adoptée un an et demi après le refus du premier projet,  renforce la faible protection climatique dont la Suisse s'est dotée. Elle ne la renforce pas assez, mais un refus de la loi laisserait cette protection dans l'état où elle est actuellement, et la priverait même de base légale puisque la loi de 2011 ne court que jusqu'à la fin de l'année -et c'est précisément ce que cherchent l'UDC et ses alliés (l'Automobile Club, l'association des aérodromes, le Centre patronal vaudois, le lobby pétrolier). Et d'en appeler, pour refuser la loi (et donc signer le référendum) aux propriétaires de maisons individuelles, aux habitants des régions de montagne et, évidemment, à la "classe moyenne". La loi CO2 attaquée par l'UDC et ses alliés fait un petit pas", juge la climatologue Martine Rebetez. Elle va un peu plus loin (notamment en introduisant une taxe sur les billets d'avion) que le projet initial du Conseil fédéral, que les socialistes et les Verts avaient refusée lorsqu'elle avait été soumise aux Chambres fédérales. La nouvelle loi, nul à gauche n'en disconvient, est insuffisante : elle ne permet pas de relever le défi du réchauffement climatique et elle accorde à la place financière une sorte d'immunité sur les effets de ses investissements dans les énergies fossiles et les activités génératrices de CO2.  Mais ces insuffisances sont-elles une nuisance telle qu'il s'imposerait de combattre la loi par un référendum aux côtés de l'UDC, du lobby pétrolier et du patronat le plus réac, par un référendum, plutôt que la renforcer, la compléter, l'élargir ?

Le chemin se trace en marchant, pas en restant sur place.

Nous refusons d'être les idiots utiles de l'UDC, de l'ACS et du Centre patronal. Est-il si indifférent que les voitures neuves devraient émettre deux fois moins de CO2 qu'actuellement, dans un des parcs automobiles les plus polluants d'Europe ? qu'on ne puisse plus qu'exceptionnellement installer des chauffages à mazout ? qu'une taxe sur les billets d'avions et les vols en avions privés soit introduite, alors qu'actuellement les vols internationaux sont exemptés de taxe sur les huiles minérales, de la TVA et de la taxe CO2 ?  ? que les recettes de cette taxes puissent être affectées au soutien à la réintroduction des trains de nuit ? que la consommation d'essence soit un peu plus taxée (de 12 centimes au litre au maximum...) qu'actuellement ? Ce ne sont pourtant là que des éléments de revendications et de projets que nous présentons ou soutenons depuis des années... Faute de pouvoir décemment nier le fait de la dégradation climatique, les référendaires udécistes et pétroliers vont en appeler au réflexe ménager : la loi est porteuse d'augmentation de taxes, et aucune taxe n'est populaire. Il sera donc facile de dresser la fin du mois contre la fin du monde (encore que ce ne soit pas LE monde qui est en danger, mais UN monde...), dans un pays où les citoyennes et les citoyens ne semblent pas majoritairement convaincus de l'urgence de donner une réponse, fût-elle insatisfaisante et limitée à le petite Suisse, à la dégradation climatique.

La loi est donc insatisfaisante -mais quelle loi, quelle proposition de loi, quelle initiative (même les nôtres) ne l'est pas ? Le decalogue ? la charia ? Faut-il appeler à voter contre l'initiative "pour des multinationales responsables" parce qu'elle accorde aux multinationales une présomption d'innocence et impose aux victimes des multinationales la charge de la preuve de la violation de leurs droits fondamentaux par une multinationale ? contre l'initiative pour l'interdiction du financement du commerce des armes de guerre, parce qu'elle n'interdit pas purement et simplement ce commerce ? Faudra-t-il appeler à voter "non" à  l'"initiative des glaciers" si on considère qu'elle ne va pas assez loin ? Fallait-il refuser le congé-paternité parce qu'il est trop court et qu'il n'est pas un congé-parental ? Doit on renoncer à défendre le statut de la fonction publique parce que toutes les travailleuses et tous les travailleurs ne bénéficient pas d'un statut comparable, ou le défendre et se battre pour que d'autres que les fonctionnaires en bénéficient ?

Au moment de l'adoption de la loi attaquée par la droite de la droite (et une partie de la gauche de la gauche), la cheffe du nouveau groupe des Verts, renforcé par les élections de l'automne dernier, avait estimé que "cette loi, c'est vraiment le minimum absolu". Pas si absolu, puisqu'on nous propose, en l'abrogeant par référendum, de retourner encore en-deça... Aucune loi, jamais, ne nous satisfera, ni ne satisfera notre volonté de changement. Pas même celles que nous proposons nous même. Mais nous savons que nous pouvons nous appuyer sur un progrès insuffisant pour obtenir celui que nous voulons : c'est en s'appuyant sur le suffrage universel exclusivement masculin que les droits politiques conquis par les hommes ont été étendus aux femmes, c'est en s'appuyant sur le suffrage universel indigène que les droits politiques qu'il implique seront étendus aux étrangers... et c'est en s'appuyant sur la loi issue du parlement tel qu'il est, sans majorité acquise à l'urgence climatique, et tel qu'il va être pendant encore trois ans  (autant dire qu'on ne pourra pas compter sur lui pour améliorer la loi) qu'on pourra aller plus loin qu'elle...

Le chemin se trace en marchant, pas en restant sur place.


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