Samuel Paty, décapité pour avoir enseigné la liberté d'expression

"Je suis Samuel"

Il s'appelait Samuel Paty. était prof d'histoire (et donc, forcément, aussi des religions). Il donnait un cours sur la liberté d'expression dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine. Il l'avait illustré par les dessins de "Charlie Hebdo" sur le Prophète de l'islam, après avoir autorisé par avance celles et ceux que ces dessins choqueraient de pouvoir quitter le cours. Il a été assassiné et décapité devant son collège par un Tchétchène de 18 ans, beuglant "Allah Akhbar" mais inconnu pour radicalisation par les services de renseignement, que la police abattra peu après. Le nom du professeur et son domicile professionnel avaient été publiés sur les réseaux sociaux par le père d'une élève, qui avait exigé le renvoi du professeur de l'éducation nationale.  Neuf personnes (dont six de l'entourage de l'assassin) ont été placées en garde à vue.  La condamnation de l'acte a été quasi unanime en France. Mais on voit déjà poindre, les "mais", sur le mode du célèbre "je ne suis pas raciste, mais..." : "Je condamne l'assassinat, mais"... Mais quoi ? le tueur n'avait que 18 ans ? il était Tchétchène ? "il ne faut pas manquer de respect aux religions" ? "le prof a été maladroit en montrant les caricatures" ? Ce "mais" ne précise, ni ne nuance, ni ne contextualise la condamnation, mais l'annule. Ce n'est même pas une circonstance atténuante, c'est un acquittement. Une absolution. Le début en tout cas d'une résignation, si ce n'est d'une complicité.


Fait-on des "citoyens libres", ou se font-ils eux-mêmes ? Et tous en sont-ils capables ?

Que l'islam soit un refuge pour des populations opprimées, exploitées, dénigrées, relève de cette évidence que celle qu'exprimait Marx lorsqu'il qualifiait la religion d'"opium du peuple", en tant qu'elle est la consolation de désespérés. De là à considérer l'islamisme comme une force révolutionnaire, au prétexte qu'il mobilise des opprimés, il y a un pas qu'on ne saurait franchir sans abdiquer toute intelligence politique. Ou alors, il faut aussi considérer la Saint Ligue fauteuse du massacre de la Saint-Barthélémy comme une force révolutionnaire puisqu'elle mobilisait une partie du "petit peuple" parisien (et catholique). Et que dire du nazisme, qui sut mobiliser le sous-prolétariat allemand ?  La philosophe américaine Judith Butler crut pouvoir "considérer le Hamas et le Hezbollah comme des mouvements progressistes,qui se situent à  gauche et font partie d'une gauche mondiale" parce qu'ils seraient "anti-impérialistes"; or leur "anti-impérialisme" se résume à un antijudaïsme et leur "progressisme" en un "anti-occidentalisme" récusant a priori tout ce qui vient d'Europe ou des Etats-Unis (sauf les technologies utiles à  leur combat).  Progressistes, anti-impérialistes, "de gauche", Boko Haram ou les Talibans, qui s'attaquent aux écoles de filles (et aux écolières) ? Progressiste, anti-impérialiste, "de gauche", le projet du califat ? Progressistes, anti-impérialistes, "de gauche", les auteurs des attentats parisiens de ces dernières années, et le décapiteur de Conflans ?

Avant même leur ignominie, ce qui définit les décapiteurs au nom de Dieu, c'est leur insondable, absolue, définitive connerie... contre laquelle il n'est aucune mesure ni prophylactique, ni thérapeutique. Même les abattre ne sert à rien... on peut même parier sans grand risque de perdre ce pari que d'autres connards sanguinaires ont mis le portrait des tueurs sur un mur (réel ou virtuel)...Il n'y a rien à en faire, rien à leur dire. Que comprendraient-ils d'une position comme celle de Sebastien Castellion, pour qui tuer un homme pour ses idées, ce n'est pas tuer une idée, c'est seulement tuer un homme ? Sans doute rien.

De deux choses l'une : ou bien la liberté d'expression, pour laquelle Samuel Paty a été assassiné, est un droit fondamental, et elle implique alors forcément la liberté de blasphémer et de caricaturer, ou alors elle n'est que l'octroi princier d'un Souverain, et elle n'est plus alors que la liberté de dire, d'écrire, de dessiner ce que le Souverain tolère. Nous en tenons ici pour le premier terme de l'alternative : la liberté d'expression est absolue. Le président du Conseil français du culte musulman a déclaré alors que se tenait le procès des complices du massacre de "Charlie Hebdo" que "la liberté de caricaturer est garantie pour tous, la liberté d'aimer ou de ne pas aimer (ces caricatures) également". Et que ceux que dérangent des dessins ne les regardent pas. Une position à saluer, d'autant qu'elle n'est de loin pas partagée par tous les musulmans de France... ni d'ailleurs par d'autres que des musulmans...

"Nos enseignants continueront à veiller l'esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes", a assuré le Premier ministre Jean Castex. Ils continueront, à leurs risques et périls ? Au risque de se faire tuer ? "Un de nos concitoyens a été assassiné aujourd'hui parce qu'il enseignait, parce qu'il apprenait à des élèves la liberté d'expression, la liberté de croire et de ne pas croire", a résumé, sombrement,Emmanuel Macron. Des libertés, en effet, fondamentales. De ces libertés qu'aucun fanatique religieux (ni d'ailleurs politique, ni de quelque espèce qu'il puisse y en avoir), n'acceptera, ni ne comprendra jamais. "Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?", questionnait déjà , en 1764, Voltaire, dans l'article "fanatisme" de son Dictionnaire Philosophique...

Dans le message laissé par l'assassin avant même le crime commis, pour le revendiquer par avance, "au nom d'Allah, le tout miséricordieux", il s'adresse à "Macron, le dirigeant des infidèles" et le menace d'un "dur châtiment". "Ils ne passeront pas. L'obscurantisme ne gagnera pas" a répondu Macron. Sans doute, en effet, l'obscurantisme ne gagnera pas. A la fin. Et d'ici là, "l'infâme" reste bien à écraser. Mais comment ? On peut pondre toutes les lois qu'on veut contre lui, et ceux et celles...) qui le portent, on peut même, comme la France, expédier des soldats le combattre au Sahel, il est toujours là, se nourrissant des morts qu'il fait, et de ses propres morts.

Au "Je suis Charlie" ont succédé  les "Je suis Samuel", et des dizaines de milliers de personnes ont manifesté hier, en hommage à Samuel Paty, mort pour avoir été, selon les mots même d'Emmanuel Macron  de celles et ceux qui font "le plus beau métier qui soit : faire des citoyens libres". Mais fait-on des "citoyens libres", ou leur donne-t-on le désir de se faire eux-mêmes ? Et tous en sont-ils capables ? Cette question est sans réponse, l'assassin de Samuel Paty n'ayant donné que la sienne : lui n'en était pas capable. Ni d'être citoyen, ni d'être libre, ne se voulant que fidèle...







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