Genève : Pierre Maudet part pour mieux revenir

 

L'importun sparadrap

Pierre Maudet, précuseur, a décidé de s'autoconfiner politiquement juste après avoir été privé de l'ultime service qu'il présidait, et juste avant que le Conseil d'Etat décide (et annonce sans lui)  de reconfiner partiellement Genève. Déjà privé d'une bonne partie de ses capacités d'action après l'éclatement de l'"affaire" de son voyage à Abu Dhabi (et des autres "affaires" qui ont suivi), Pierre Maudet a perdu le peu qui lui en restait après que ses collègues aient pris connaissance d'un rapport d'audit, partiel et provisoire (l'audit a été lancé à la fin de l'année dernière), sur la situation de l'ultime service dont il était responsable, celui du développement économique, dont une bonne partie du personnel serait en souffrance physique et psychique à cause des méthodes de management "militaire" de Maudet (un management "basé sur la peur et le dénigrement"), du type de relations instaurées dans le service (genre : une cheffe de cabinet se comportant en cheffe de service) et de l'utilisation du personnel (il lui en restait peu après le premier dépècement de son département : une trentaine de personnes) pour la communication du magistrat. Six des sept conseillères et Conseillers d'Etat ont donc transformé le septième en "ministre sans portefeuille" façon troisième et quatrième républiques françaises, pour éloigner de lui ses collaborateurs. N'acceptant pas cette décision qu'il juge "humiliante" et résultant d'une "cabale", Maudet a donc démissionné du Conseil d'Etat, non sans préciser que cette démission n'entrerait en force qu'au jour de l'élection de son successeur -lui entendant bien se succéder à lui-même, puisqu'il a aussi annoncé qu'il se présentait à sa propre succession. Affamés qu'on est de campagnes électorales, on déprimait en se disant qu'on on allait se faire chier, sans élection jusqu'au printemps 2023, mais c'était sans compter sur Pierre le Grand, se la jouant sparadrap du capitaine Haddock. Qu'importe : son choix redonne, sur son destin politique la parole au peuple -mais dans un processus électoral auquel seule une minorité du peuple participera.

Mais qui donc avait fait de Maudet un homme providentiel?

La Roche Tarpéienne est proche du Capitole mais il aura tout de même fallu deux ans à Maudet pour faire ce trajet... Sa décision de démissionner pour se représenter, si politiquement cohérente qu'elle soit, est bien tardive : elle aurait bien mieux servi de marchepied pour une réélection si elle était intervenue plus tôt, par exemple au lendemain de la décision du Conseil d'Etat de lui retirer la presque totalité de ses services et de ses dossiers, à l'exception de celui du développement économique. Sans parti après avoir été exclu du sien, admis avoir menti à tout le monde, être en instance de jugement et avoir été dénoncé par ses collaborateurs, on ne pas dire que le candidat à sa propre succession parte favori de l'élection (même s'il dispose tout de même, outre d'une très haute idée de lui-même, de quelques moyens financiers pour faire campagne, avec un salaire de 20'000 francs par mois tant que sa démission n'est pas effective)... Il lui reste encore à espérer que la multiplicité des candidatures, à droite (l'UDC et les Verts libéraux pourraient en présenter) comme à gauche, lui permette de se hisser au deuxième tour. Il est vrai que quand on ne peut gagner par ses propres forces, on peut encore espérer gagner en comptant sur les faiblesses (et les âneries) de ses adversaires... Chirac aussi, était donné perdant contre Balladur (et Trump contre Hillary Clinton)... Pour le reste, "de ceux-là est la liberté peu suspecte, et peu odieuse, qui besognent sans aucun leur intérêt" (Montaigne).

L'élection du successeur ou de la successeure (successoresse ?) de Maudet pourrait se tenir le 7 mars, en même temps que des votations fédérales et cantonale, avec un éventuel deuxième tour le 28 mars. On sera peut-être aussi au moment du procès de Maudet. Et on sera au printemps -mais au printemps de qui, et de quoi ? Si la gauche est capable (mais l'est-t-elle ? un lourd doute plane...) de présenter une candidature unique, elle a toute les chances de la faire élire, et de renverser la majorité au Conseil d'Etat. Or cette candidature ne peut guère être qu'une candidature issue des Verts, sous représentés au gouvernement cantonal (avec un unique siège unique) si on tient compte de leurs succès électoraux aux fédérales de l'automne dernier et aux municipales de ce printemps, quand le PS dispose déjà de deux des sept sièges du gouvernement, et que la gauche de la gauche ne pèse pas assez lourd électoralement (d'autant qu'elle est divisée)  pour rallier face à une candidature unique de la droite, même avec le soutien plus ou moins symbolique des socialos et des écolos, une majorité, même relative. On peut cependant douter que cette triviale réalité la dissuade de vouloir faire un petit (premier) tour de piste pour montrer qu'elle existe. Après tout, Maudet aussi en est à devoir montrer qu'il existe encore...

Cela étant, elle doit bien, l'"affaire Maudet", vouloir dire quelque chose de "nos" institutions, de la politique telle qu'elle se fait (pas seulement à Genève), du milieu politique (pas seulement genevois) tel qu'il est... Qui donc a fait de Maudet un homme providentiel (qu'il se rêvait comme tel ne suffit pas à expliquer qu'il le soit devenu pour d'autres) ? Qui donc l'a élu au Conseil d'Etat à la majorité absolue des suffrages et au premier tour ? Qui donc l'a élu à la présidence du Conseil d'Etat ? Combien de celles et ceux qui aujourd'hui dégoisent sur le bonhomme le portaient aux nues il y a deux ans ? Organiserait-on une lapidation publique de Maudet, qu'on y retrouverait sans doute y participer une bonne part de celles et ceux qui participèrent à sa consécration passée... la comparaison vaut ce qu'elle vaut, c'est-à-dire historiquement et politiquement rien du tout (elle n'est que figure de rhétorique), mais il nous souvient de la descente des Champs-Elysées par De Gaulle en 1944, après la libération de Paris, applaudi par la même foule extatique qui quelques mois avant se pâmait devant Pétain... il nous souvient aussi de ces "nouveaux philosophes" français, qui n'étaient ni "nouveaux" ni "philosophes" mais qui purent se hisser sur un pavois médiatique à grand renfort de dénonciation furieuse des crimes commis au nom d'une idéologie que, du temps où ils batifolaient dans le marigot gauchiste, ils avaient eux-mêmes cultivé. Certes, découlant de la fondamentale liberté de conscience, l'apostasie est un droit fondamental ... mais pas l'amnésie volontaire...




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