Initiative pour des"Entreprises responsables" : Un débat politique, pas un débat religieux

Le débat sur l'initiative pour des "entreprises responsables" fait rage. Et quoique les églises y prennent part en soutenant l'initiative, ce qui est leur droit le plus strict en tant qu'organisations sociales et culturelles comme bien d'autres (c'est ce qu'elles sont, dans une société sécularisée), ce n'est pas un débat religieux mais un débat politique. Pas un débat entre le bien et le mal mais un débat entre l'efficace (l'initiative) et l'inefficace (le contre-projet). D'ailleurs, les opposants à l'initiative passent leur temps à dire qu'elle poursuit des "buts louables", et qu'ils ne s'y opposent que parce qu'elle "va trop loin". Et nous, partisans de l'initiative, passons le même temps à dire qu'elle ne va que là où elle doit aller, vers ses buts "louables", alors que le contre-projet, lui, ne va nulle part. Ce pourquoi les "milieux de l'économie" et la plupart des grands patrons (mais pas tous) le soutiennent avec une ardeur aussi suspecte que leur conversion à une responsabilité des actes de leurs entreprises cimentières, agroalimentaires, minières, bancaires  : Le Crédit Suisse nous apprend, dans une pleine page de pub dans les quotidiens,  qu'il "partage (les) objectifs de 'initiative, à savoir améliorer encore la protection des droits de l'homme et de l'environnement" et qu'"il ne fait aucun doute que les entreprises doivent assumer la responsabilité de leurs activités". Et que telle est sa conviction, on doit le croire sur parole. D'Evangile.

Une initiative qui "arrive presque en retard"...

L'un des paradoxes amusants de la campagne autour de l'initiative pour des multinationales responsable de leurs actes est bien d'entendre les adversaires de l'initiative dénoncer les "moyens démesurés" des partisans, alors que le budget de campagne de ceux-ci n'atteint même pas la moitié de ceux engagée par la seule Economiesuisse contre l'initiative. C'est que l'infériorité financière des partisans est compensée par leur supériorité militante : 450 comités locaux et 8000 militantes et militants mènent la campagne pour l'initiative, qui a en outre reçu le soutien d'élus du centre et de droite, lors même que leurs partis mènent, eux, campagne contre. De même, des dizaines de patrons et de dirigeants d'entreprises (comme Hugo van Buel, patron de Cla-Val Europe, pour qui "un oui à l'initiative serait indéniablement un plus pour la Suisse") soutiennent l'initiative contre les faîtières patronales : eux affirment que l'initiative ne visant que les entreprises coupables de violations des droits fondamentaux, et ces entreprises ne représentant qu'une minorité des entreprises suisses, la plupart des entreprises, et la quasi-totalité des PME, n'ont rigoureusement rien à craindre de l'adoption du texte. Ce que confirme le soutien que lui apporte un journal comme "PME Magazine", qu'on aurait peine à situer à la gauche anticapitaliste, pour qui "en instaurant un cadre législatif clair, comme le propose l'initiative pour des multinationales responsable, la Suisse peut (faire) preuve d'exemplarité. Sans pénaliser pour autant les sociétés actives sur son sol".

Dans son bulletin, la fédération patronale genevoise du bâtiment, la FMB, appelle à voter contre l'initiative pour des multinationales responsables. Titre de l'appel de la FMB : "NON à une initiative dangereuse et au titre (volontairement) trompeur" (c'est le "responsable" qui serait de trop ?). Et cette affirmation : "Personne ne conteste les buts de l'initiative". Ah bon ? la FMB affirme pourtant que l'initiative "jette un voile de suspicion sur les entreprises suisses, en présumant qu'elles ont forcément vocation à commettre des violations des droits de l'homme ou des normes environnementales, pour privilégier la recherche de profits". En réalité, l'initiative dit exactement le contraire  seules les entreprises qui commettent de telles violations sont susceptibles d'être poursuivies. Et elles sont, de l'avis des initiants eux-mêmes, minoritaires. Mais pas moins nuisibles pour autant : Des enfants travaillent dans une mine bolivienne appartenant à Glencore, qui en extrait du zinc, du plomb et de l'argent. La mine pollue l'eau potable, les paysans locaux y perdant leurs moyens de vivre.  Des accidents s'y produisent quotidiennement, faisant plusieurs morts chaque mois. Et d'entre les victimes, des enfants de onze ans. Le ministre burkinabé du commerce est venu à Berne pour dire son opposition à lui. ministre du commerce du Burkina Faso, à l'initiative pour des multinationales responsables (Thomas Sankara, reviens !). Commentaire de Micheline Calmy-Rey : "les opposants sont vraiment désespérés pour faire venir un ministre du Burkina Faso" (c'est vrai que ça aurait été plus simple et moins coûteux de faire venir un ministre du Liechtenstein...). Il représentait qui, le ministre Harouna Kaboré ? le gouvernement burkinabé ? le peuple burkinabé ? Lui-même ?  Le comité d'initiative pour des multinationales responsables rappelle que d'entre les 130 ONG qui la soutiennent, nombreuses sont celles qui travaillent depuis des années, parfois depuis des décennies, au Burkina, et que Solidar Suisse a enquêté sur le travail des enfants dans les champs de coton du pays du ministre. Dans "PME Magazine", Hugo van Buel, patron de la PME Cla-Val Europe, estime que "le texte arrive presque en retard" mais "permet de se poser les bonnes questions, de dresser un constat et d'avancer dans le bonne direction". Ce à quoi le Conseil fédéral et le Parlement fédéral (du moins leurs majorité) se refusent.  Le Parlement fédéral a en effet concocté un contre-projet indirect à l'initiative, sous forme d'une loi entrant en vigueur si l'initiative est rejetée. Les opposants à l'initiative soutiennent donc, de gré ou de force, ce contre-projet, défendu mordicus par la Conseillère fédérale Keller-Sutter.  Mais pour qu'il y ait eu contre-projet, il a bien fallu qu'il y ait, préalablement, initiative : c'est bien l'initiative qui a poussé la droite parlementaire et les "milieux de l'économie" à faire, par le contre-projet, un tout petit semblant de petit pas vers une responsabilisation des multinationales... Sans l'initiative, ni le Conseil fédéral ni la majorité du parlement n'auraient perdu la moindre parcelle de leur précieux temps à convaincre les entreprise à éditer une fois par an un joli rapport illustré protestant de leur respect absolu des droits humains et de l'environnement.

Et de la Bible et du Coran. Au moins.

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