La "deuxième vague" déprime plus les Suisses que la première


 Bis repetita non placent

Une majorité des Suissesses et des Suisses sont déprimés, ou aux limites de l'être, selon un sondage de la SSR. Au printemps, lors de la "première vague" de la coronapandémie, ils n'étaient qu'un quart à rechercher leur moral dans leurs chaussettes. C'était déjà beaucoup, mais cela suggère que cette "première vague" fut mieux supportée que l'est la deuxième... et on se demande pourquoi, alors que les mesures prises pour l'endiguer étaient plus strictes que celles prises aujourd'hui. La première vague nous prit par surprise, la deuxième était prévisible, et même annoncée. Mais elle nous est de trop. Nous n'avons même pas su faire bon usage de la première vague,  profiter de cette étrange occasion pour "changer les choses", pour faire d'un mal,un bien, et nous savons encore moins que faire de la deuxième, sinon attendre qu'un vaccin nous permette de retrouver nos routines, nos réunions familiales, professionnelles, politiques en "présentiel", avec de vraies personnes à qui parler et à entendre, et pas seulement de mauvaises images sur des écrans. Tout ce qu'on sait, ou devrait savoir, c'est qu'il va falloir vivre avec ce virus comme nous avons à vivre avec d'autres (ceux de la grippe, par exemple), et avec d'autres parasites -les puces, les poux, les punaises, les acariens... En attendant quoi, les beaux élans de solidarité constaté il y a quelques moins se sont ratatinés, et on recommence à chipoter, jusque dans les débats budgétaires de nos parlements cantonaux et municipaux, sur les efforts à faire pour soutenir celles et ceux qui ont, ici et maintenant, besoin d'un soutien...

"Les hommes ne peuvent se passer des hommes".

Faute des des salles de cinéma dont nous sommes privés, sur ceux de nos télévisions, de nos ordinateurs, de nos tablettes, les films "d'avant" nous rappellent un monde où on s'entassait dans les bistrots, les bars, les boîtes de nuits pour bavarder, picoler en groupes, danser... un monde ou on s'embrassait quand on se rencontrait et quand on se quittait, un monde où on festoyait bras dessus, bras dessous, et plus si entente... Et on baigne alors dans la même douce nostalgie que celle qui saisit l'auteur de ces lignes quand il revoit dans un bon vieux film de Sautet des meutes d'humains cisgenres joyeusement agglutinés dans des bistrots enfumés. Ainsi, on ne peut pas tout ? Notre espèce est fragile ? Face à un virus, on en est encore, en attendant le vaccin, à la quarantaine, au confinement, à la désinfection et au masque, comme il y a 300 ans ?

Pour la philosophe Corine Pelluchon,  "dans le contexte pandémique et de la crise environnementale nous sommes responsables de dommages que nous n'avons pas voulu commettre, mais nos styles de vie nous accusent". Nous voilà "responsables, mais pas coupables", en somme... et responsables de deux  crises, l'environnementale et la sanitaire, dont la plus grave n'est sans doute pas celle qui mobilise tous les efforts de tous les acteurs sociaux, économiques et politiques, parce que, voilà :  les victimes du réchauffement climatique nous sont invisibles, inconnues, quand celles du covid peuvent être nos parents, nos voisins, nos amis. Et peut-être les avons-nous nous-même infectées. Et peut-être nous infecteront-elles elles-mêmes. Etienne Balibar résume : "le virus saute toutes les frontières et déjoue tous les confinements, faisant de chacun d'entre nous un risque et potentiellement un recours". Un risque, certainement. Mais un recours ? Et un recours à quoi ? A un "problème de santé publique commun à toute l'espèce", mais que les individus de cette espèce, et les groupes particuliers qu'elle contient, n'affrontent pas tous de la manière, certains se refusant à l'affronter, et d'autres même à l'admettre ? le coronavirus n'a pas constitué l'espèce qu'il a infecté en franchissant la "barrière des espèces" qui sépare la chauve-souris du pangolin et le pangolin de l'être humain...  Face à la pandémie, les inégalités devant la santé et la mort persistent et rendent illusoire l'unité de l'espèce : des peuples "premiers" (on ne dit plus "primitifs"...) sont menacés de disparition pure et simple, les migrants et les réfugiés font l'objet de mesures discriminatoires, des personnes âgées sont confinées non pour qu'elles soient soignées, mais pour qu'on les laissent mourir.

Il doit sans doute y avoir entre nous, maintenant, et pour quelques mois encore, et par précaution, un espace physique -mais pas un espace social, culturel ou politique. Ni affectif : parlant des humains et non des mâles, Camus écrit dans "La Peste" que "les hommes ne peuvent se passer des hommes".


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